Harpocrate

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE ROMAINE > MILLIEU DU IISIÈCLE APRÈS J. C. 

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 80 cm ; L. : 31,1 cm ; P. : 27,5 cm 

Co. 1287

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre présente un état de conservation correct. 

Il manque la tête, l’index de la main droite et l’extrémité des parties génitales. De nombreuses entailles sur le ventre sont anciennes. Une petite perforation, de la taille d’une tête d’épingle, apparaît au milieu du fessier droit. 

Des réparations anciennes ont été faites au niveau de la cheville gauche et des deux bras, notamment sur l’épaule gauche. Les bouchages, qui débordent largement sur la surface du métal, ne permettent pas de connaître l’importance des manques. Ces réfections, fortement colorées et vernies, présentent des craquelures. On remarque un réseau de fissurations au niveau des comblements anciens et un décalage au niveau des joints de fissure provoquant des écaillages. Des points de corrosion (carbonates de cuivre) sont visibles entre les doigts des deux mains, sur les fessiers et sur la réparation ancienne du talon gauche. Des traces de frottement en haut de la cuisse droite et quelques griffures sur l’ensemble du corps se remarquent également. 

 

La corrosion du métal est constituée de cuprites recouvertes par endroits d’une couche verte de carbonates sous forme de malachites. Au revers, l’aspect de la patine est fortement « moucheté ». La surface de l’objet est empoussiérée. On note quelques dépôts de plâtre autour du cou qui témoignent de l’assemblage d’une tête d’enfant en plâtre par Rodin conservée au musée sous le numéro Co. 312.

Description

La statue Co. 1287 figure un personnage, représenté selon une iconographie romaine. Il s’agirait probablement du dieu Harpocrate. Le dieu-enfant se tient debout, les jambes naturellement écartées, pied droit avancé. Une attitude similaire, dite « de la marche apparente » est attestée dans l’art égyptien ; néanmoins, selon les principes égyptiens, c’est par le pied gauche, placé en avant, que le mouvement de la marche indique. L’enfant a ses deux bras repliés, pointant le droit devant lui et le gauche vers son visage. Ses poings sont serrés et ne tiennent aucun objet, contrairement à ce que l’on peut voir sur des statuettes d’Harpocrate d’époque romaine, notamment les figurines Co. 1211 et Co. 1455 conservées au Musée Rodin où le dieu maintient une corne d’abondance sur son épaule gauche. Autre élément surprenant, il tend son index gauche en direction de son visage, au niveau du menton ; les représentations égyptiennes d’Harpocrate placent plus naturellement l’index droit sur la bouche, les droitiers étant plus fréquents (voir les œuvres du Musée Rodin Co. 687Co. 774Co. 789Co. 791Co. 810Co. 1324Co. 2385 et Co. 5614 ou le groupe statuaire de la glyptothèque Ny Carlsberg de Copenhague ÆIN 157 (cf. JØRGENSEN Mogens, Catalogue EgyptV. Egyptian Bronzes Ny Carlsberg Glyptotek, s. l., Ny Carlsberg Glyptotek, 2009, p. 164-165, n° 54). Bien que la tête d’origine soit aujourd’hui manquante, la position du cou suggère qu’elle était légèrement tournée vers le doigt pointé.

Le cou est relativement long pour celui d’un enfant, ses épaules sont tombantes. Les membres supérieurs sont traités avec naturel. Le pli du coude est marqué ainsi que le coude lui-même. On note le modelage d’un os de l’avant-bras, le cubitus, suggérant une certaine tension dans le bras ; il faut y voir l’expression du mouvement. Un resserrement du métal marque le poignet puis la main potelée. Les phalanges et les ongles ont été clairement dessinés sur les doigts. 

Le reste du corps est modelé avec autant que naturel que les bras. En effet, les muscles pectoraux sont très légèrement dépeints comme pourraient l’être ceux d’un enfant. La pointe des seins a été réalisée dans un alliage différent du reste de la statue, majoritairement en cuivre, puis a été poncée, leur donnant une couleur plus sombre et une surface presque brillante. La taille, délicatement marquée, annonce un ventre rond accentué par une grande cambrure du dos. Les muscles abdominaux ont été représentés de chaque côté d’un nombril peu profond. L’os des hanches est indiqué par un resserrement très subtil du métal au-dessus des cuisses. Les plis de l’aine rejoignent les parties génitales, figurées selon l’iconographie romaine, c’est-à-dire petites. Au niveau du dos, on voit clairement le profil des omoplates. La colonne vertébrale n’est tracée qu’à partir du milieu du dos. Les muscles fessiers sont serrés et légèrement excavés sur leur côté extérieur, rappelant plus un athlète qu’un jeune garçon. Sur les jambes, on note une attention particulière au dessin des muscles de cuisses et des mollets. Les genoux et les malléoles sont également clairement indiqués avec réalisme et sensibilité. On remarque qu’au revers du genou droit, deux bourrelets dessinent les tendons de chaque côté du genou. Ce détail indique le mouvement de la jambe vers l’avant. Enfin, les pieds sont potelés et présentent eux aussi quelques os matérialisés, notamment la tête du métatarse et ceux des orteils. Sur ces derniers sont visibles, de la même manière que sur les mains, les phalanges et les ongles.

Un tenon sous chaque pied aidait au maintien sur le support d’origine, aujourd’hui perdu. 

Harpocrate est une divinité bien connue dans l’art égyptien. Son nom égyptien Horpakhered, « Horus l’Enfant », a été transcrit par les grecs en Harpocrate. Sa première attestation date de la XXIe dynastie et sa première représentation de l’an 22 de Chéchanq III, sur une stèle commémorant une donation pour le « flûtiste d’Harpocrate » (cf. FORGEAU Annie, Horus-Fils-d’Isis, La Jeunesse d’un dieu, BdE 150, Le Caire, 2010, p. 308).

Harpocrate est, à l’époque de sa création, Khonsou-l’enfant, fils d’Amon et de Mout et fait partie de la triade divine thébaine. Il devient ensuite un dieu à part entière, c’est-à-dire Horus l’Enfant, fils d’une union posthume entre Osiris et Isis. 

L’iconographie égyptienne d’Harpocrate, dieu populaire à la fin des temps égyptiens, est simple et reconnaissable. Il s’agit d’un enfant nu portant la mèche de l’enfance du côté droit du crâne et généralement l’index à la bouche. 

De par son aspect juvénile caractéristique, nudité et attitude naïve du doigt sur la bouche, bonnet enserrant le crâne avec mèche de l’enfance, proportions des parties génitales, et enfin rondeur des joues et du ventre, Harpocrate devint l’image de tous les dieux enfants d’un panthéon égyptien de plus en plus sophistiqué. Les très nombreuses statuettes en terre cuite ou en bronze datant de l’époque hellénistique et romaine attestent de la popularité de son culte dont l’apogée se situe durant le IIe siècle de notre ère. Le dieu-enfant représenté sur la statue l’œuvre Co. 1287 arbore une iconographie romaine. En effet, les rondeurs naturelles du corps, l’attention au dessin des muscles, des os et du mouvement semblent clairement attribuables à cette époque. 

Œuvres associées

Les œuvres Co. 1211 et Co. 1455 sont également des représentations du dieu Harpocrate selon une iconographie romaine. Le Musée Rodin conservent d’autres statuettes qui figurent le dieu enfant selon une iconographie plus traditionnelle égyptienne, Co. 687Co. 774Co. 789Co. 791Co. 810Co. 1324Co. 2385 et Co. 5614

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

 

Donation à l’État français en 1916.

Commentaire historique

Auguste Rodin avait assemblé sur ce corps en bronze le moulage en plâtre d’une tête d’enfant (Co. 312), dont l’original en marbre pourrait dater du Ier siècle après J.-C. La tête de ce premier assemblage ayant été perdue, une nouvelle a été tirée en 2003. Ces deux têtes ont été moulées sur un visage d’Éros en marbre identifié par Bénédicte Garnier et conservé dans les collections du musée Rodin (cf. LE NORMAND ROMAIN Antoinette, MARTINEZ Jean-Luc, SCHWARTZ Emmanuel, Rodin : la lumière de l’antique, Paris, 2013, p. 318, cat. 268, fig. 129).

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