Harpocrate

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVIe - XXXIe dynastie > 656 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 27,5 cm ; L. : 6,3 cm ; P. : 9 cm 

Co. 791

Commentaire

Etat de conservation

L'oeuvre est en mauvais état de conservation.

Le métal est oxydé. La corrosion a sectionné la mèche de l’enfant. Seuls subsistent le haut de la mèche sur le côté de la couronne et la volute finale sur l’épaule droite du dieu. De nombreuses concrétions de sédiment parsèment l’œuvre, particulièrement sur le haut du corps. Un large trou vient percer le tibia gauche, qui est légèrement déformé. Le socle a disparu.

 

Des chlorures qui ne sont peut-être plus actifs sont visibles sur l’œuvre. Aux emplacements conservés, une couche épaisse de carbonates verts subsiste recouverte de terre d’enfouissement blanchâtre. Cette couche de carbonates et de terre d’enfouissement est plus épaisse entre les bras, aux emplacements qui n’ont pas été nettoyé mais laissés en l’état. 

Description

L’œuvre représente un enfant nu jambe gauche en avant, dans l'attitude de la marche. Le bras gauche est placé le long du corps, le poing serrant un mekes. Notons que le pouce est particulièrement long. Celui de la main droite rejoint l’annulaire pour se placer sous le menton sans le toucher. Effigie divine, il s’agit de la représentation du dieu Harpocrate.

Le dieu est coiffé du pschent orné d’un uraeus frontal proéminent. La volute qui termine généralement la couronne de Basse-Égypte, le shebet, a disparu. Seule sa base est encore visible au-dessus de l’uraeus. Du côté droit de la couronne se dégageait à l’origine une mèche de l’enfance. Aujourd'hui, seuls subsistent le début de la tresse au-dessus de l’oreille et l’extrémité en volute devant l’épaule droite. On remarque quatre lignes creusées dans la nuque de l’enfant, vraisemblablement attribuables au système de suspension d’un collier-amulette. Voir pour comparaison le collier-amulette en forme de double cœur de la statuette en bronze assez similaire de la collection Raoul Warocqué conservée au Musée royal de Mariemont (QUERTINMONT Arnaud (dir.), Dieux, Génies et Démons en Égypte ancienne, Musée royal de Marieront, 21 mai-20 novembre 2016, Morlanwelz, 2016, p. 226-227, Inv. B. 282). L’oxydation du métal en a effacé toute trace sur le torse. Celle-ci rend difficile la lecture des détails anatomiques, notamment ceux du visage. On remarque toutefois que les yeux sont très ouverts, que le nez est fin et pointu et que la bouche est petite et serrée. Comme c’est généralement le cas pour ce genre de statue, l’oreille droite est plus grande que la gauche. Ce défaut de proportion est certainement dû aux difficultés d’accès au côté droit de la tête, la mèche de l’enfance empêchant au sculpteur d’être précis dans le dessin de l’oreille.

Les épaules sont légèrement tombantes et carrées ; les bras sont longs et sans détail anatomique, à l’exception du pli du coude. Les pectoraux et les muscles dorsaux ont été modelés dans le métal, de même que le bourrelet fin qui surmonte les organes génitaux de l’enfant. Un large nombril décore le centre du ventre gonflé au-dessus duquel la taille est marquée. Les muscles fessiers sont bombés et clairement séparés par une dépression en forme de fleur de lotus. Les jambes sont très longues et massives. Le genou et l’os du tibia ont été marqués. Les pieds, de type égyptien, sont longs et disproportionnés au corps. Notons que la jambe gauche n’est pas droite mais est accidentellement arquée vers l’intérieur, ce qui rend le genou gauche cagneux.

 

Harpocrate est une divinité bien connue dans l’art égyptien. Son nom égyptien Horpakhered, « Horus l’Enfant », a été transcrit par les grecs en Harpocrate. Sa première attestation date de la XXIe dynastie et sa première représentation de l’an 22 de Chéchanq III sur une stèle commémorant une donation pour le « flûtiste d’Harpocrate » (cf. FORGEAU Annie, Horus-Fils-d’Isis, La Jeunesse d’un dieu, BdE 150, Le Caire, 2010, p. 308).

Harpocrate est, à l’époque de sa création, Khonsou-l’enfant, fils d’Amon et de Mout. Il fait partie de la triade divine thébaine. Il devient ensuite un dieu à part entière, c’est-à-dire Horus l’Enfant, fils d’une union posthume entre Osiris et Isis. Enfant royal, son front est ceint d’un uraeus. Le dieu Seth, son oncle, cherchant à le tuer afin d’acquérir le pouvoir dont il doit hériter de son père, il est élevé dans les marais de Chemnis, à l’abri de Seth. De par son histoire, il obtient une double symbolique. Il est à la fois le nouveau soleil du matin et l’héritier divin qui doit succéder à son père, ce qui fait de lui le représentant et la représentation idéale du roi. Les pouvoirs divins qui lui sont attribués évoluent rapidement. En effet, d’après sa mythologie, sa mère Isis l’aurait guéri d’une piqûre de scorpion. Il obtient ainsi des capacités guérisseuses et protectrices face aux animaux dangereux comme le montre les stèles dites d’« Horus sur les Crocodiles ». Sur ce type de stèle, on peut voir Horus enfant maitrisant de chaque main un animal considéré comme dangereux, tels que les lions, les serpents ou les scorpions. On peut également mentionner Nepri, dieu du grain et de la moisson, qui peut être représenté nu avec un doigt à la bouche. Harpocrate, qui possède la même iconographie, devient alors un dieu de la fertilité lié à Min et aux cultes agraires.

L’iconographie d’Harpocrate, dieu populaire à la fin des temps égyptiens, est simple et reconnaissable. Il s’agit d’un enfant nu portant la mèche de l’enfance du côté droit du crâne et généralement l’index à la bouche. Il peut être debout, assis sur un trône, sur une fleur de lotus ou sur les genoux d’une déesse qui l’allaite. Ses coiffes varient selon la divinité qu’il représente et c’est pourquoi, en plus de son iconographie infantile, il est l’image de tous les fils des triades divines et est ainsi naturellement distingué comme protecteur des enfants. De par son aspect juvénile caractéristique, nudité et attitude naïve du doigt sur la bouche, bonnet enserrant le crâne avec mèche de l’enfance, proportions des parties génitales, et enfin rondeur des joues et du ventre, Harpocrate devint l’image de tous les dieux enfants d’un panthéon égyptien de plus en plus sophistiqué. Les très nombreuses statuettes en terre cuite ou en bronze datant de l’époque hellénistique et romaine attestent de la popularité de son culte dont l’apogée se situe durant le IIe siècle de notre ère.

 

Enfin, notons que les auteurs classiques ont mal interprété le geste du doigt sur la bouche et l’ont compris comme étant « un symbole de discrétion et de silence », interprétation reprise par la suite par les ésotériques. En aucun cas cette attitude fait mention d’un quelconque respect des dieux par le silence. Ce geste de placer le doigt sur la bouche pour marquer le silence est un geste de notre époque et de notre culture et ne peut pas être appliqué aux égyptiens anciens. L’attitude d’Harpocrate est simplement l’image de l’enfance comme l’est la mèche tressée sur le côté du crâne. 

 

La statuette Co. 791 servait d'ex-voto. Elle a été commandé et probablement déposée dans un lieu de culte dédié à Harpocrate afin qu'acquérir sa protection. 

 

Les statuettes d’Harpocrate constituent une série d’objets très connus et communs aux époques hellénistique et romaine, et de nombreux musées du monde conservent ce type d’œuvre.

Le Musée du Louvre conserve une œuvre similaire à celle du Musée Rodin Co. 791, E 3642. Le British Museum également, EA132908 ; ainsi que le Metropolitan Museum of Art de New York, 04.2.613. Enfin, on peut voir exposées plusieurs œuvres similaires au Penn Museum de Philadelphie, notamment E 2246 et 42-21-14.

Œuvres associées

L’œuvre Co. 774 de la collection du Musée Rodin présente les mêmes caractéristiques générales et la même attitude que la figurine en bronze d’Harpocrate Co. 791.

 

Les statuettes en bronze Co. 774 (dieu enfant) et Co. 797 (déesse Neith) de la collection Rodin semblent provenir d’un même atelier tant par leurs caractéristiques d’exécution, leurs dimensions conséquentes, que par l’alliage employé.

Inscription

Anépigraphe.

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Meudon, atelier de peinture, vitrine 13, 426, "Harpocrate debout coiffé du pschent. Bronze. Haut. 27 cent. 1/2. Estimé deux cents francs."

Donation Rodin à l'État français 1916.

Commentaire historique

La figurine était exposée en 1913 dans l'atelier de peinture de la Villa des Brillants à Meudon.

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