Harpocrate

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVIe - XXXIe dynastie > 656 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 14,5 cm ; L. : 4,1 cm ; P. : 6,1 cm 

Co. 774

Commentaire

Etat de conservation

L'oeuvre est en bon état de conservation. Le métal est oxydé mais la statuette est entière. Sur la face latérale droite du socle, une ligne d’hiéroglyphes de grande taille est en partie visible, sous une couche de corrosion. Sur la face arrière du socle, une cavité circulaire de 2 mm de diamètre à l’aplomb du pied gauche serait attribuable à un forage contemporain. Des concrétions de sédiment sont toujours présentes dans le nombril et à l’entre-jambes. 

Description

L’œuvre représente un enfant nu debout sur une base rectangulaire. Il s'agit d'Horus l'Enfant, dit Harpocrate. En position de marche apparente, sa jambe gauche est en avant. Son bras droit est plié, l’annulaire et le pouce se rejoignant pour se poser sur le menton. Les autres doigts sont soigneusement individualisés et repliés. Son bras gauche est placé le long du corps, le poing est fermé sur la cuisse et serre probablement un mékes. Remarquons que les deux pouces sont particulièrement longs. Les proportions générales de l’enfant semblent correctes. Entièrement nu, un bonnet orné d’un uraeus frontal, signe de divinité ou de royauté, couvre sa tête. La queue de cet uraeus s’étire jusqu’à l’arrière du crâne. Une mèche de l’enfance, striée de fins sillons rendant le dessin d’une tresse, se dégage du bonnet sur le côté droit. Épaisse, elle se termine par une volute tombant devant l’épaule droite de l’enfant.

Harpocrate possède de grands yeux en amandes dessinés par des sillons creusés dans le bronze. Ils encadrent un nez droit, légèrement empâté. Celui-ci surmonte une petite bouche pulpeuse dont les commissures des lèvres sont alignées avec les ailes des narines. Au-delà des pommettes saillantes, les oreilles se dégagent. De grande taille car masculines, elles sont sculptées avec précision. Le cou, relativement court et massif, se poursuit sur des épaules carrées et des bras aux proportions correctes sur lesquels le pli du coude a été rendu. Le buste de l’enfant est marqué par la présence de pectoraux et d’un ventre légèrement bombé modelé par deux bourrelets. Le premier se situe en-dessous des pectoraux, le second juste au-dessus de la zone pubienne. Le nombril est rond et profond. Les parties génitales de l’enfant ont été rendues grâce un renflement au niveau de l’aine. Les muscles dorsaux encadrant la colonne vertébrale se prolongent sur deux petits muscles fessiers qui eux-mêmes couronnent de longues jambes modelées avec soin. Les pieds, de type égyptien, sont longs et plats. Si la représentation physiologique des muscles actionnés par la marche est bien suggérée sur les membres inférieurs, les pieds sont néanmoins posés à plat sur le socle. 

 

Harpocrate est une divinité bien connue dans l’art égyptien. Son nom égyptien Horpakhered, « Horus l’Enfant », a été transcrit par les grecs en Harpocrate. Sa première attestation date de la XXIe dynastie et sa première représentation de l’an 22 de Chéchanq III sur une stèle commémorant une donation pour le « flûtiste d’Harpocrate » (cf. FORGEAU Annie, Horus-Fils-d’Isis, La Jeunesse d’un dieu, BdE 150, Le Caire, 2010, p. 308).

Harpocrate est, à l’époque de sa création, Khonsou-l’enfant, fils d’Amon et de Mout et fait partie de la triade divine thébaine. Il devient ensuite un dieu à part entière, c’est-à-dire Horus l’Enfant, fils d’une union posthume entre Osiris et Isis. Enfant royal, son front est décoré d’un uraeus. Le dieu Seth, son oncle, cherchant à le tuer afin d’acquérir le pouvoir dont il doit hériter de son père, Harpocrate est élevé dans les marais de Chemnis, à l’abri de Seth. De par son histoire, il obtient une double symbolique, il est à la fois le nouveau soleil du matin et l’héritier divin qui doit succéder à son père, ce qui fait de lui le représentant et la représentation idéale du roi. Les pouvoirs divins qui lui sont attribués évoluent rapidement. En effet, d’après sa mythologie, sa mère Isis l’aurait guéri d’une piqûre de scorpion. Il obtient ainsi des capacités guérisseuses et protectrices face aux animaux dangereux comme le montre les stèles dites d’« Horus sur les Crocodiles ». Sur ce type de stèle, on peut voir Horus enfant maitrisant de chaque main un animal considéré comme dangereux, tels que les lions, les serpents ou les scorpions. On peut également mentionner Népri, dieu du grain et de la moisson, qui peut être représenté nu avec un doigt à la bouche. Harpocrate, qui possède la même iconographie, devient alors un dieu de la fertilité lié à Min et aux cultes agraires.

L’iconographie d’Harpocrate, dieu populaire à la fin des temps égyptiens, est simple et reconnaissable. Il s’agit d’un enfant nu portant la mèche de l’enfance du côté droit du crâne et généralement l’index à la bouche. Il peut être debout, assis sur un trône, sur une fleur de lotus ou sur les genoux d’une déesse qui l’allaite. Ses coiffes varient selon la divinité qu’il représente et c’est pourquoi, en plus de son iconographie infantile, il est l’image de tous les fils des triades divines et est ainsi naturellement distingué comme protecteur des enfants. De par son aspect juvénile caractéristique, nudité et attitude naïve du doigt sur la bouche, bonnet enserrant le crâne avec mèche de l’enfance, proportions des parties génitales, et enfin rondeur des joues et du ventre, Harpocrate devint l’image de tous les dieux enfants d’un panthéon égyptien de plus en plus sophistiqué. Les très nombreuses statuettes en terre cuite ou en bronze datant de l’époque hellénistique et romaine attestent de la popularité de son culte dont l’apogée se situe durant le IIe siècle de notre ère.

 

Enfin, notons que les auteurs classiques ont mal interprété le geste du doigt sur la bouche et l’ont compris comme étant « un symbole de discrétion et de silence », interprétation reprise par la suite par les ésotériques. En aucun cas cette attitude fait mention d’un quelconque respect des dieux par le silence. Ce geste de placer le doigt sur la bouche pour marquer le silence est un geste de notre époque et de notre culture et ne peut pas être appliqué aux égyptiens anciens. L’attitude d’Harpocrate est simplement l’image de l’enfance comme l’est la mèche tressée sur le côté du crâne. 

 

La statuette Co. 774 servait d'ex-voto. Elle a été commandée et probablement déposée dans un lieu de culte dédié à Harpocrate afin qu'acquérir sa protection. 

 

Le musée du Louvre conserve une œuvre similaire à celle du musée Rodin Co. 774, E 3642. Cette oeuvre du Louvre est coiffée de la couronne-hemhem, contrairement à celle du musée Rodin. Le British Museum, EA132908, ainsi que le Metropolitan Museum of Art de New York, 04.2.613, conservent des oeuvres ayant une iconographie plus proche de Co. 774. Enfin, on peut voir exposées plusieurs œuvres similaires au Penn Museum de Philadelphie, notamment E 2246 et 42-21-14.

Au Musée royal de Mariemont, une très belle statuette correspond aux caractéristiques iconographiques de l’œuvre Co. 774 (inv. n° B. 282).

Les statuettes en bronze d’Harpocrate sont très nombreuses et figurent dans les collections de nombreux musées du monde.

Œuvres associées

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs exemples d’enfant en bronze, notamment Co. 789, Co. 810 ou Co. 2385, toutefois ces enfants sont dans la position assise. Il n’y a que deux oeuvres qui correspondent à l’attitude de l’objet Co. 774, il s’agit de Co. 687 et  Co. 791.

Inscription

Sur la face latérale droite du socle, une ligne d’hiéroglyphes de grande taille est en partie visible, sous une couche de corrosion. Encadré par une ligne, les signes, gravés en creux de droite à gauche, sont de grande taille et occupent tout l’espace du socle. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Meudon, Pavillon de l'Alma, vitrine 7, 322, "Harpocrate debout sur un socle portant la main à la bouche. Il a l'uraeus et la tresse. Bronze très oxydé. Haut. 15 cent. Estimé vingt francs."

Donation à l’État français en 1916.

Commentaire historique

La figurine était exposée en 1913 dans une vitrine du Pavillon de l'Alma à Meudon.

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