Stèle cintrée de Nysykhonsou, chanteuse d'Amon-Rê

Égypte > Haute-Égypte, région thébaine probablement

Les derniers temps > Basse Époque > fin de la XXXe dynastie

Époque hellénistique et romaine > souverains macédoniens ou début de la dynastie lagide

[voir chronologie]

Calcaire

H. 37,7 cm ; L. 24,5 cm ; P. 4 cm

Co. 5779

 

Comment

State of preservation

L’œuvre est en bon état de conservation. Seules les arêtes présentent de nombreux petits éclats qui n’empêchent pas la lecture de l’œuvre, de même que les deux coins inférieurs qui sont brisés.

Sur la face, les hiéroglyphes, ciselés très finement, sont très bien conservés (à l’exception de l’éclat entre les lignes 6 et 7). Les chants présentent des traces d’outils obliques (ciseaux plats), en particulier le dessus du cintre. Le chant gauche présente une marque linéaire d’environ 5 cm x 1 cm. Sur le chant droit, on constate un petit trou circulaire, sans doute dû à la perte d’une inclusion lors de la réalisation de l’œuvre.

On observe encore des restes infimes de couleurs bleue et rouge dans le creux des hiéroglyphes.

 

Au revers, la stèle a conservé des traces d’outils obliques (ciseaux plats) et des coups incurvés (gouge) ; elle est parsemée de griffures accidentelles. On constate également deux gros éclats, un au sommet et l’autre à l’extrémité inférieure. Les nombreuses petites taches circulaires claires que l’on observe au revers et sur les chants ainsi que les taches blanchâtres sur la face avant correspondent à une altération de la pierre (sels cristallisés en surface). 

Description

Cette stèle cintrée, dont le contour est repris par deux lignes incisées parallèles, se divise en trois parties inégales : le cintre décoré au sommet, les scènes figurées en-dessous et le texte, qui occupe la moitié inférieure de l’œuvre.

 

La partie supérieure du cintre est occupée par un disque solaire aux ailes déployées d’où partent deux uraei coiffés, à droite, de la couronne rouge de Basse-Égypte et, à gauche, de la couronne blanche de Haute-Égypte. Ils symbolisent respectivement les déesses Ouadjet et Nekhbet, divinités tutélaires de ces deux régions. Entre les deux cobras dressés, des rayons solaires s’échappent de l’astre central, matérialisés par cinq lignes de petits triangles emboîtés. De part et d’autre de cet élément central est inscrit un texte hiéroglyphique, en symétrie.

 

Le cintre est isolé du reste de la stèle – scènes et texte – par le signe hiéroglyphique de la voûte céleste, qui la traverse dans toute sa largeur. Le registre figuré est divisé en deux tableaux, séparés par une colonne de hiéroglyphes. Une légende au-dessus de chaque scène donne l’identité des personnages représentés : les divinités Atoum (à droite) et Rê-Horakhty (à gauche), adorées par la dédicante, Neskhonsou.

 

Dans le tableau de droite, le dieu Atoum est représenté debout, dans l’attitude de la marche, tourné vers la droite. Il est coiffé du pschent, la double couronne symbolisant la royauté sur la Haute et la Basse-Égypte réunies, tandis que la barbe recourbée des dieux pend à son menton. Le collier-ousekh autour du cou, il est vêtu d’un corselet orné d’un motif d’écailles incisées et d’un pagne court plissé qui rappelle les pagnes de l’Ancien Empire. Le plissé est réalisé non pas au moyen de la gravure mais en créant des creux et des bosses dans la pierre. Le même traitement est réservé aux genoux du dieu ; ce rendu musculeux est à nouveau une référence aux productions de l’Ancien Empire, dans une veine archaïsante qui apparaît dès la Troisième Période intermédiaire mais particulièrement en vogue à partir de la Basse Époque. Le sculpteur a poussé le détail jusqu’à figurer l’ongle des gros orteils par des incisions. Une queue de taureau – attribut royal et divin, symbole de puissance et de virilité –, qui descend presque jusqu’à ses pieds, est accrochée dans son dos. Il tient dans la main droite un signe-ânkh et dans la main gauche un sceptre-ouas.

 

À l’autre extrémité du tableau, lui faisant face, Neskhonsou est représentée debout, les jambes jointes et les deux mains levées à hauteur de son visage, les paumes tournées vers le dieu, en signe d’adoration. Elle est parée d’un collier-ousekh et de bracelets aux chevilles. On remarque que les mèches de sa perruque longue tripartite, bien verticales, ne suivent pas la courbure de la tête (contrairement à la convention la plus fréquente dans l’art égyptien). Son vêtement, assez complexe, comprend quatre couches superposées. Le plissé de l’étoffe qui constitue la couche supérieure n’est pas rendu par des incisions mais comme modelé dans la pierre, pour un rendu gaufré. Le sculpteur a pris soin de représenter ses sandales, soulignant ainsi la scralité du sol qu'elle foule.

 

Au sommet de sa tête est posé un petit élément en forme de dôme d’où émanent des traits incisés dans la pierre : il s’agit de ce que l’on appelle un « cône d’onguent » ou « cône de toilette ». À partir du Nouvel Empire, il est fréquemment figuré sur la tête des participants aux scènes de célébrations et de banquets rituels, dans des scènes d’offrandes à la divinité ou au défunt mais également dans des scènes à caractère éminemment funéraire, placé sur la tête d’un cercueil, d’une momie ou encore d’un oiseau-ba.

Longtemps considéré comme une boule de graisse imprégnée d’aromates, qui fondait à la chaleur pour couler sur la chevelure et l’imprégner d’huile parfumée, Nadine Cherpion a montré qu'il s'agissait d'un idéogramme qui symbolise l’idée d’onction associée à celle de parfum (CHERPION, 1994). Des découvertes récentes à Tell el-Amarna ont confirmé l’existence de cônes de cire en trois dimensions, fixés sur la tête de deux individus (STEVENS et al., 2019).

L’interprétation de la fonction essentielle de ce cône odoriférant, métaphorique, demeure pour l’instant inchangée. Le parfum, instrument de séduction dans la culture égyptienne, joue un rôle de première importance dans l’idée de renaissance. Le cône symboliserait donc le souhait d’atteindre l’état de maâ-kherou, « juste de voix », c'est-à-dire de défunt autorisé par le tribunal d’Osiris à prendre place dans l’au-delà, le souhait d’une « survivance heureuse » pour l’éternité (CHERPION, 1994, p. 88).

Par ailleurs, l’iconographie du « cône d’onguent » évolue au cours du temps (forme, couleur, composition) ; l’ajout, comme ici, de courts traits rayonnants évoquant les émanations de parfum est un motif qui n’apparaît que vers la fin du VIIe siècle avant J.-C. (COULON, 2011, p. 93).

 

Le dieu et la dédicante sont séparés par une table d’offrandes d’où émerge une grande fleur de « lotus » épanouie (en réalité un nymphéa) et sur laquelle reposent quatre petits pains ronds et une cruche ; des récipients coniques sont figurés sous la table.

 

La composition du tableau de gauche est sensiblement identique mais en symétrique, à l’exception de quelques variantes introduites par le sculpteur. À droite, le dieu Rê-Horakhty, reconnaissable à sa tête de faucon surmontée d’un disque solaire à uraeus, se tient dans la même attitude – ici tourné vers la gauche – et porte le même costume que le dieu Atoum : un corselet à écailles et un pagne court plissé, avec cette fois un liseré le long de la bordure inférieure. Comme lui, il est doté d’un collier-ousekh et d’une queue de taureau mais est également paré de bracelets en haut des bras et aux poignets. Ses genoux présentent le même traitement particulier qu’évoqué précédemment. Il tient les mêmes attributs qu’Atoum : le sceptre-ouas dans la main gauche et le signe ânkh dans la main droite.

Neskhonsou se tient dans la même attitude que dans la scène de droite. On note de légères différences dans la coiffure – si elle est toujours coiffée d’une perruque longue tripartite sur laquelle repose un cône, les mèches ne sont plus lisses mais bouclées – et le costume – elle porte seulement deux épaisseurs de tissu, qui laissent transparaître le contour de sa silhouette. On retrouve le collier-ousekh, les périscélides et les sandales.

Là encore, le dieu est séparé de la dédicante par un guéridon couvert d’offrandes – fleur de « lotus », pains ronds et peut-être un vase-nou à la place de la cruche – sous lequel sont posés des récipients à bouchon conique.

 

La raison de cette composition en miroir apparaît d’autant plus clairement que Rê-Horakhty et Atoum sont deux avatars du dieu solaire Rê : le premier représente le soleil dans sa course diurne, le second représente le soleil couchant et nocturne. Le soleil qui meurt et renaît chaque jour évoque un cycle de morts et de renaissances qui fait écho au sort envié par le défunt : la résurrection. Cette thématique atteste de la fonction funéraire de la stèle. Les stèles de ce genre étaient souvent érigées dans la tombe ou à proximité, dans des chapelles associées (SCALF, 2017, p. 328-329).

 

La stèle Co. 5779 a été intégrée (sous son numéro Louvre E 15565) par Peter Munro au sein d’un vaste corpus de stèles funéraires datées du milieu du VIIIe jusqu’au début du IIIe siècle avant J.-C. Il l’attribue ainsi au type « Theben III A.S. » de sa typologie, qu’il considère venir d’ateliers thébains, et la date des environs de 350 avant J.-C. (MUNRO, 1973, p. 230) Cela correspond au règne de Nectanébo II (360-343 avant J.-C.), dernier roi de la XXXe dynastie mais également dernier souverain indigène à avoir régné sur toute l’Égypte.

Bien qu’essentiel, le travail de Munro s’appuie cependant sur des caractéristiques formelles (forme de la stèle, organisation, style…) en laissant de côté les textes (contenu et paléographie). Si, par certaines caractéristiques, la stèle se place dans la tradition iconographique de l’époque saïte, d’autres éléments préfigurent ce qui se fera à l’époque ptolémaïque (critères repris dans BIRK, 2020, p. 26-27). La stèle Co. 5779 apparaît sans aucun doute comme une œuvre de transition entre l’art de la Basse Époque et l’art ptolémaïque. Cependant, la datation proposée par Munro doit être considérée avec prudence.

 

Les inscriptions ont permis d’établir la filiation de Neskhonsou et de la rattacher à la famille des Grands Prêtres d’Amon qui officiaient dans la région thébaine au IVe siècle avant notre ère. L’étude récente du document menée par Ralph Birk, dans le cadre de sa thèse sur les Grands Prêtres d’Amon, replace Neskhonsou dans l’arbre généalogique de cette famille et estime sa date de naissance aux environs de 359 avant J.-C. (BIRK, 2020, p. 29-32). Il faut donc envisager d’abaisser la datation proposée par Munro de quelques dizaines d’années pour situer la réalisation de la stèle à la fin du IVe siècle avant J.-C.

 

Le musée du Louvre possède dans ses collections un intéressant parallèle, une stèle également attribuée par Munro au type « Theben III A.S. » mais qu’il situe vers 320 avant J.-C., soit au tout début de la période hellénistique (Musée du Louvre N 3944 ;  MUNRO, 1973, p. 230-231 et pl. 13, fig. 49). Les protagonistes et la technique sont différents (il s’agit de bois stuqué et peint) mais l’organisation du texte et de l’image est identique. Les rayons stylisés qui émanent du disque solaire dans le cintre rappellent fortement ceux de la stèle du musée Rodin, bien que figurés par des points et non des triangles. La dédicante présente la même opposition entre cheveux raides à droite et cheveux bouclés à gauche et porte la même tenue que celle de Neskhonsou dans le tableau de gauche (mais la couche supérieure du vêtement est plissée). La question de la production dans un même atelier, peut-être à deux dates légèrement différentes, mérite ici d’être posée.

 

Inscription

Les hiéroglyphes ont été finement ciselés. Il se répartissent dans les trois sections de la stèle.

Dans le cintre, de part et d’autre des uraei, se trouve la mention « Celui de Behedet, le grand dieu, maître du ciel ». L’inscription horizontale, qui n’occupe que quelques cadrats, se lit des deux côtés en allant à la rencontre des uraei. « Celui de Celle du trône » n’est autre que l’Horus d’Edfou (Behedet, litt. « Celle du trône », est le nom d’Edfou en égyptien ancien), représenté dans le cintre sous forme de disque solaire ailé. Cette mention se trouve fréquemment au sommet des stèles.

 

Sous le signe du ciel, au centre de la stèle, se développe une colonne de hiéroglyphes (lecture droite-gauche), séparée des scènes représentées de part et d’autre par une double ligne incisée : « Salut à toi, ô supérieur des dieux, celui qui illumine la Douat grâce à sa perfection ! ». Elle pourrait être interprétée comme le titre commun aux deux scènes figurées en même temps qu’une annonce du contenu du texte principal.

Dix colonnes et deux lignes servent de légende aux scènes en identifiant les personnages représentés : la dédicante est la joueuse de sistre d’Amon-Rê Neskhonsou (ou N(y)-s(y)-khonsou, prénom connu depuis la XXe-XXIe dynastie ; cf. RANKE, 1935, p. 178, n°20), qui adore Atoum « lorsqu’il se couche dans l’Occident-ânkhtyt » et Rê-Horakhty « lorsqu’il se lève dans l’horizon oriental du ciel ».

 

Le texte principal occupe sept lignes, séparées les unes des autres par une double ligne incisée. Il rappelle l’identité de la propriétaire de la stèle, présentée comme une « Osiris », c'est-à-dire une défunte. La dénomination est courante depuis la fin du Nouvel Empire mais le nom du dieu adopte ici une graphie particulière puisque le signe netjer « dieu, divin », sert de déterminatif (signe final muet). Cette particularité apparaît déjà à la  XIIIe dynastie. Il est intéressant de noter que dans cette mention qui ouvre le texte, le nom de Nysykhonsou adopte une graphie particulière, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la stèle. Le son nes est marqué non pas au moyen de la langue de bovin (F 20) mais par le babouin assis (E 35 ; pour les valeurs phonétiques de ce signe, consulter DE MEULENAERE, 1954, p. 73-82). Certains éléments graphiques, dont celui-ci, renvoient davantage aux inscriptions ptolémaïques, bien qu’ils soient ponctuellement attestés avant (BIRK, 2020, p. 27-28).

 

Le texte donne ensuite la filiation de Nysykhonsou, d’abord par son père puis par sa mère. Son père, Ousirour (prénom attesté depuis la XXIIe dynastie ; cf. RANKE, 1935, p. 84, n°23), occupait de hautes fonctions pontificales dans le clergé d’Amon thébain ; il porte notamment le titre de « Premier Prophète d’Amon », que l’on traduit aussi par « Grand Prêtre d’Amon ». Il était également « prêtre des Grands de Djémé ». Dans ce titre, l’oiseau sous le n est généralement interprété comme un faucon, ce qui amène à la lecture netjrou Djamet, « les dieux de Djémé » (pour la valeur netcher du faucon sur le pavois, cf. Wb II, 358). Cependant, la comparaison avec le signe du faucon dans le nom de Rê-Horakhty nous pousse à y voir plutôt le signe de l’hirondelle et à lire ourou Djamet, « les Grands de Djémé ». Fondamentalement, cela ne change rien à la signification du titre. Djémé – ou encore « la butte de Djémé » – correspond à la localité actuelle de Medinet Habou, au sud de la nécropole thébaine, sur la rive ouest. Ce toponyme admet de nombreuses variantes graphiques, dont certaines incluent le signe du crocodile, avec ou sans plume sur la tête (cf. GAUTHIER, 1929, p. 105-106 ; UGGETTI, 2016, p. 157-158). Sur la stèle du musée Rodin, l’entaille au niveau de la tête du crocodile est trop nette, profonde et régulière pour être le fruit d’un accident dans la pierre. Contrairement à l’interprétation de Ralph Birk (BIRK, 2020, p. 29, (a)), le toponyme Djamet semble donc écrit au moyen du signe du crocodile avec une plume d’autruche sur la tête. L’origine de cette graphie est peut-être à chercher du côté de la liturgie mise en place à Djémé et du rôle de Khonsou-Shou l’Ancien (sur cette question, consulter TRAUNECKER, 1982, p. 347-350 ; THISSEN, 2002, p. 47-49).

La mère de Nysykhonsou, Takhabeset (nom qui semble apparaître à la Basse Époque ; cf. RANKE, 1935, p. 366, n° 14), était comme elle une musicienne d’Amon-Rê. Elle est également désignée comme « maîtresse de maison », une épithète portée par les nobles dames égyptiennes depuis l’Ancien Empire. La formule de filiation « ‟engendré(e) pour” + nom de la mère » est une référence au Moyen Empire.

 

S’ensuit alors un hymne solaire, inclus dans le discours de la défunte. Il s’agit d’une version abrégée du chapitre 15c du Livre des Morts ; on en trouve une version plus ancienne et plus développée sur la stèle de Souty et Hor, datée du règne d’Amenhotep III (British Museum EA 826 ; VARILLE, 1941, p. 25-30). L’hymne se concentre ici sur la course quotidienne, cyclique et perpétuelle de l’astre, tantôt dans le monde des vivants, tantôt dans le monde souterrain (la Douat) ; il précise que le soleil parcourt en journée « un million d’iterou de long », l’iterou étant une unité de mesure de longueur d’environ 10 km. Il évoque également son caractère éclatant et visible de tous et néanmoins mystérieux (« ils [les rayons solaires] ne sont pas connus » doit être compris « on ne sait pas ce qu’ils sont », « leur nature n’est pas connue »). À travers la phrase « C’est unique que tu as été conçu, puisque ta manifestation première était (issue du) Noun » (l. 6-7), l’hymne fait référence à l’unicité de l’astre solaire, qui n’a pas d’équivalent, mais également à son rôle dans la cosmogonie : le démiurge, qui est advenu à l’existence de lui-même. La version originale donne d’ailleurs « Tu crées alors que tu es seul ».

 

Notons qu’il n’est fait aucune mention sur cette stèle à vocation funéraire – la propriétaire est bien désignée comme une défunte – d’une quelconque formule d’offrandes. Souvent, les formules d’offrandes du texte font écho aux scènes d’offrandes figurées, l’ensemble témoignant du principe de réversion des offrandes : les offrandes (alimentaires) offertes aux dieux par les vivants étaient ensuite redistribuées dans les tombes des nécropoles afin d’assurer la survie post-mortem des défunts.

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 553, " Stèle d’époque ptolémaïque en calcaire très dur. Dans le cintre le disque ailé surmontant un registre en deux tableaux, où l’on voit la défunte en adoration, à gauche devant Horkhonti, à droite devant Thonus. L’inscription en sept lignes horizontales donne à la première ligne le nom de la chanteuse d’Amon Ra [hiéroglyphes]. 37 cent. ½ sur 24 cent. Estimée à 500 fr. "

Donation Rodin à l’État français 1916

Historic comment

Le Département des Antiquités Égyptiennes du British Museum possède une collection de relevés provenant des biens de l’égyptologue James Burton (1788-1862), parmi lesquels se trouve une copie de la stèle du musée Rodin Co. 5779. Ces relevés ont été réalisés par Burton et son assistant, Charles Humphreys, décédé en 1839 ; ils sont conservés dans leur emballage d’origine : des journaux datant de 1829 à 1855 (BIERBRIER, 1994, p. 407, 411 ; BIRK, 2020, p. 25).

Beaucoup de relevés correspondent à des antiquités égyptiennes actuellement conservées à l’Oriental Museum de l’Université de Durham. Ces œuvres proviennent de l’ancienne collection du château d’Alnwick, constituée par Lord Algernon Percy, quatrième duc de Northumberland (1792-1865) et ses successeurs. Or, le duc de Northumberland avait acquis en 1836 une partie de la collection personnelle de James Burton. Il semble donc que les copies aient été réalisées par Burton (et son assistant) d’après des œuvres égyptiennes qui étaient, à l’origine, en sa possession. Nous pouvons ainsi supposer que la stèle de Neskhonsou faisait partie de la collection de ce pionnier de l’égyptologie.

Arrivé en Égypte au printemps 1822 pour travailler comme minéralogiste, Burton commence à s’intéresser aux vestiges de la civilisation pharaonique à partir de 1825. Il remonte alors le Nil et s’arrête quelques mois dans la région thébaine, où il désensable des monuments à Medinet Habou et Karnak ainsi que plusieurs tombes de la Vallée des Rois (BIERBRIER, 2012, p. 96). Il est probable que Burton et son assistant aient acheté, voire découvert eux-mêmes, la stèle du musée Rodin à Thèbes Ouest au printemps 1825 (BIRK, 2020, p. 26).

De retour en Angleterre à la fin de l’année 1835, Burton vend sa collection d’antiquités égyptiennes dès juillet 1836 par l’intermédiaire de la maison Sotheby. Parmi les 420 lots décrits dans le catalogue, la seule entrée susceptible de correspondre à la stèle Co. 5779 est celle du lot 390, qui appartient à la section des tablettes funéraires et autres objets en pierre : « Two others [= Tablets] in Lime Stone » (SOTHEBY ET FILS, 1836, p. 35). Il est étonnant qu’une stèle de cette qualité ne fasse pas l’objet d’une description plus détaillée. De plus, cette entrée du catalogue de vente est assez vague et pourrait bien correspondre à tout autre chose. La stèle de Neskhonsou n’apparaît pas non plus dans le catalogue des quelques 2000 objets égyptiens de la collection du château d’Alnwick, publié en 1880 (BIRCH, 1880, section 21, p. 263-318 pour les stèles en pierre).

Nous ignorons donc ce qu’il est advenu de la stèle entre sa supposée entrée dans la collection de Burton vers 1825 et son entrée dans la collection d’Auguste Rodin, entre 1893 et 1913.

 

L’œuvre est restée en dépôt au musée du Louvre de 1933 à 2005, où elle portait les numéros d’inventaire AF 2978 et E 15565.

Inventaire Louvre 1933 : "21-Petite stèle cintrée, en calcaire, gravée avec soin, au nom de la chanteuse d'Amon-Rê, Nsi-Khonsou, fille du Premier prophète d'Amon, Ousiroéris. Sous le disque ailé du cintre, représentation de la défunte adorant, d'un côté Harakhtès et, de l'autre, Atoum. Au-dessous, inscription de sept lignes contenant un hymne solaire. Epoque ptolémaïque. Haut. : 0m39. Larg. : 0m,245."

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Roi faisant l’offrande du pain et du vin à une déesse vache

Provenance > Égypte

Datation > Basse Époque – Époque hellénistique 

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 54,5 cm ; L. 143 cm ; P. 5,8 cm

Calcaire

Co. 1409

Comment

State of preservation

L’état de conservation de l’œuvre est assez bon mais fragmentaire. Dans son état actuel, elle s’apparente à un linteau. Cependant, seul le chant droit, irrégulier, semble original. Les autres chants sont des cassures, ils ont visiblement été repris pour être aplanis (des traces d’outil et de râpe sont bien visibles). Le chant inférieur présente aussi des griffures modernes. L’angle supérieur droit a été emporté par une grande cassure, tandis que de nombreuses épaufrures marquent les bordures, en particulier les bords supérieur et gauche.

Les volumes et les modelés des scènes, principalement sculptées en relief dans le creux (motifs descendus par rapport au fond), sont très émoussés. De nombreux coups de pointes et de ciseau plat zèbrent la surface, en particulier la partie centrale et la moitié supérieure droite. Le revers présente également différentes traces d’outils.

Il subsiste des traces de la polychromie originale, parfois recouvertes par la terre de fouille (notamment dans les creux des reliefs) : des pigments bleus sur les lignes de sol, le pourtour des sabots des vaches et l’offrande tenue par le personnage de droite, des pigments rouges sur les chairs du roi et sur la coiffe divine. Les restes conservés sont très fragiles.

 

Le relief a été cassé en deux fragments, peut-être lors de sa dépose ou de sa « découverte », quoiqu’il en soit avant 1913 puisque l’inventaire établi par Boreux mentionne ces deux fragments (a et b).

Il a été de nouveau cassé sur le chant supérieur, au niveau du sommet de la coiffe de la vache gauche.

On peut voir sur la photographie du catalogue d’exposition Rodin Collectionneur (pl. 5) la ligne de cassure qui divise le relief – placé dans un cadre en bois réalisé par Kichizo Inagaki – en deux fragments. Sans doute lors du changement de système de présentation par la Maison André, suite à l’exposition, l’œuvre a été brisée, comprenant désormais sept fragments (probablement au cours du démontage du cadre en bois) qui ont été recollés.

 

Description

Le relief est composé de deux scènes symétriques affrontées représentantant un roi face à une divinité prenant l’apparence d’une vache. Au centre, le roi se tient debout, dans l’attitude de la marche, dans les deux cas tourné vers l’extérieur du relief. Il lève l’un de ses bras, paume vers l’animal divin, en signe d’adoration et lui présente une offrande de l’autre, à droite un vase-nou contenant du vin et à gauche un petit pain blanc conique.

Le roi est coiffé d’un nemes rayé (lignes incisées obliques parallèles), orné d’un uraeus sur le front ; l’extrémité inférieure du catogan est figurée dans son dos. Il est paré d’un collier large ainsi que de bracelets aux poignets et en haut des bras. La musculature du torse est bien marquée, mais peu rendue dans le relief, et sa taille fine contraste avec la forte envergure de ses épaules. Le roi porte un pagne court à projection, formant une pointe à l’avant, maintenu en place par une ceinture à boucle, à l’arrière de laquelle une queue animale est attachée. Cet élément du costume des divinités masculines et des souverains égyptiens est généralement interprété comme une queue de taureau qui permet à celui qui la porte de s’attribuer la force physique et la puissance sexuelle de l’animal.

Les deux vaches, clairement identifiables comme des femelles grâce à leurs pis, présentent la même iconographie : elles sont figurées debout, tournées vers l’intérieur du relief, dans l’attitude de la marche apparente. Leurs longues cornes lyriformes enserrent un disque solaire peint en rouge, surmonté de deux hautes plumes d’autruche, également peintes en rouge. Le sculpteur a pris soin d’ajouter certains détails : tous les sabots sont fendus, la queue semble tressée à partir de la croupe puis incisée de lignes obliques parallèles, les naseaux et les coins des yeux sont également marqués dans la pierre. La technique du relief dans le creux est particulièrement poussée pour ces divins ruminants qui sont animés d’un subtil modelé

Le pain de l'offrande est à la base de l’alimentation égyptienne et constitue l’élément principal de plusieurs rites. Il occupe une place d’honneur dans les offrandes faites aux dieux, aux rois et aux défunts et sa simple évocation sert parfois à elle seule à résumer toutes les offrandes alimentaires. Le pain blanc occupe une place à part dans le paysage religieux : de par sa forme, il évoque le benben – tout comme les pyramides et les obélisques –, le tertre primordial émergé du Noun sur lequel est apparu le soleil Atoum dans la cosmogonie héliopolitaine. Il revêt donc une forte connotation solaire, à laquelle s’ajoute l’idée de régénération royale. Produit de luxe consommé par les membres de l’élite, le vin fait partie des boissons servies lors des banquets funéraires et compte parmi les offrandes. Il est présenté dans les vases-nou. Cette boisson peut aussi être mise en relation avec l’idée de vie et de régénération puisque son effet désinhibiteur amène ses consommateurs à profiter de la vie jusqu’à la créer. De plus, par l’ivresse qu’il procure, le vin a également des vertus apaisantes, notamment sur les dieux, comme en témoigne le mythe de la Lointaine. Dans certaines versions du récit, l’Œil de Rê, c'est-à-dire la déesse Hathor, sous la forme de la déesse lionne Sekhmet, ivre de rage à l’égard des humains qui avaient comploté contre son père, les massacre. La déesse ne peut être apaisée qu’au moyen d’une ruse : une boisson alcoolisée mélangée avec une substance rouge, qu’elle prend pour du sang, boit et s’enivre. Le choix de ces deux offrandes ne semble donc pas anodin.

Si les deux représentations de pharaon sont identiques, il n’en va pas de même pour la déesse bovine. La vache de droite, plus grande d’environ 4 cm, présente néanmoins une tête plus petite, exécutée avec plus de finesse ; l’oreille est plus fine et plus détaillée puisque les poils en sont figurés par de courtes incisions parallèles.

De manière générale, les déesses bovines évoquent les pouvoirs de création et de fécondité, raison pour laquelle un certain nombre de déesses mères et de déesses célestes – parce qu’elles donnent naissance au soleil dans les cosmogonies – apparaissent sous cette forme. En l’absence de texte, il est impossible de déterminer quelle déesse est représentée en face du roi : il pourrait tout autant s’agir d’Hathor ou d’Isis que d’entités moins connues comme Hésat, Sekhat-Hor, Méhet-Ouret, Ihet, voire de la déesse Neith sous sa forme de vache céleste.

Notons que l’animal n’est pas placé sur un socle qui lui est propre ; cette convention signale que la figure divine est en réalité une statue devant laquelle on exécute le rite. Si le socle n’est pas toujours indiqué dans l’art égyptien, nous pouvons néanmoins supposer que le roi fait offrande à la déesse elle-même, et non à son image, puisque des liens particuliers unissent le roi d’Égypte et les dieux.

Nous pouvons également envisager la possibilité que la vache figurée ici soit un animal de chair et d’os, l’un des animaux sacrés que les Égyptiens vénéraient en tant que « ba vivant » d’une divinité (concernant les animaux sacrés en général, consulter CHARRON, 2002 ; pour les vaches sacrées, voir CASSIER, 2012). Par exemple, Strabon (Géographie XVII, 1, 35) nous informe de l’existence d’une vache sacrée à Aphroditopolis (XXIIe nome de Haute Égypte), ce que les textes égyptiens et surtout les fouilles d’Atfih, nom moderne de la localité, ont confirmé. C’est là que se trouve l’Hésateum, la nécropole des vaches blanches Hésat, qui étaient le réceptacle vivant de la déesse Hathor. Il existait également un temple, nommé hout-Hésat, où devait se dérouler leur culte funéraire.

 

Dans les deux scènes, le roi est séparé de la déesse par une table d’offrandes sur laquelle reposent quatre pains ronds surmontés d’une fleur de « lotus » (en réalité un nénuphar). Le plateau de la table semble lui-même prendre la forme d’une ombelle de papyrus. La qualité d’exécution diffère grandement du reste du relief : le sculpteur a réalisé ces tables d’offrandes non pas en relief dans le creux mais par de simples incisions, comme s’il s’agissait d’un travail préparatoire. De plus, dans les deux cas, le pied de la table d’offrandes est figuré derrière la patte la plus avancée de la vache. On pourrait penser que le sculpteur a tenté de rendre ici l’idée de profondeur. Cependant, si les « concessions » à la réalité par la mise en place d’une vision perspective – par opposition à la vision aspective utilisée dans l’art égyptien – sont courantes pour les figures considérées comme secondaires, elles restent rares en ce qui concerne les protagonistes principaux, en particulier les figures divines et royales. Sans compter que la table d’offrandes est présentée à la divinité et ne saurait en aucun cas être placée à côté ou derrière elle. On en retire l’impression que ces tables d’offrandes ont été rajoutées dans un espace qui n’était pas prévu, ou du moins pas envisagé assez grand, pour les accueillir. Cela est confirmé par la disposition des offrandes : dans la scène de gauche, où la vache est plus petite, les pains semblent alignés et non disposés en deux rangées étagées comme dans la scène de droite ; de même, la fleur est beaucoup moins grande et moins épanouie à gauche. Le sculpteur semble donc avoir éprouvé beaucoup de difficultés à insérer ces tables d’offrandes, en particulier dans la scène de gauche.

 

D’autres curiosités viennent marquer le relief. Les deux scènes prennent place sur une ligne de sol discontinue, qui n’est pas gravée entre les deux groupes. Elles ne sont donc pas reliées entre elles, ce qui constitue une anomalie pour ce type de scènes, dont on trouve l’un des exemples les plus connus sur le linteau de Médamoud, conservé au musée du Louvre (E 13938). À cela s’ajoute une ligne incisée perpendiculaire à cette ligne de sol, dans la partie droite de l’œuvre, dispositif qui ne se retrouve pas ailleurs. À l’extrémité droite du fragment, on observe une ligne incisée verticale discontinue, constituée de tirets. Peut-être cette ligne, sans doute inachevée, était-elle prévue pour marquer la délimitation avec une autre scène ou une inscription.

 

Le revers est très endommagé mais lisse. S’il est difficile d’établir si les traces d’outils sont liées exclusivement aux différents soclages ou si certaines peuvent être imputées à une dépose moderne, la couleur plus claire de la pierre nous incite à penser que le relief a bien été prélevé sur un bloc plus épais.

De par son format allongé et sa composition, l’œuvre Co. 1409 se rapproche d’un élément structurel et décoratif qui prend place dans les bâtiments : le linteau, comme le linteau de Médamoud évoqué plus haut. Ce relief pouvait-il, en l’état, décorer une structure cultuelle ? Il arrive de trouver dans les temples des décors laissés inachevés, auxquels il manque notamment les inscriptions. Cependant, la somme des différentes anomalies que nous avons mises en évidence – la différence de taille entre les deux vaches, la table d’offrande qui ne semble pas à sa place, l’impression globale d’inachèvement et de déséquilibre – ainsi que l’absence totale de texte nous amènent à envisager une autre hypothèse. Il pourrait s’agir d’un exercice de sculpteur, provenant d’un atelier, sur lequel au moins deux mains différentes auraient travaillé, l’un des sculpteurs étant moins expérimenté que l’autre. Cet exercice aurait eu pour but de préparer la réalisation d’un linteau qui aurait ensuite été placé dans le lieu de culte d’une déesse voire d’une vache sacrée. 

Inscription

Aucune. 

Historic

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian en 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 74 a et b, "Bas relief en deux morceaux, représentant à gauche le roi tourné vers la gauche offrant [dessin] à la vache sacrée tournée vers la droite, à droite ce même roi tourné vers la droite offrant le vase [dessin] à cette même vache tournée vers la gauche. Dans les deux cas le roi et l’animal sont séparés par une table d’offrande. Calcaire. a/ Largeur 82 cent. Haut. 52 cent. b/ Larg. 62 ; Haut. 53 cent. Estimé mille cinq cent francs."

Donation Rodin à l'État français 1916.

Historic comment

Le relief fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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Le dieu Onouris suivi de la déesse-lionne Méhyt

Provenance > Égypte > Basse-Égypte > Sébennytos (probablement)

Datation > fin Basse Époque – début époque ptolémaïque

[voir chronologie]

H. 58,5 cm ; L. 58,5 cm ; P. 15 cm

Granite rose

Co. 1408

Comment

State of preservation

Ce relief présente un état de conservation moyen. De forme approximativement quadrangulaire, aucune des tranches n’est intacte ; l’angle inférieur gauche a particulièrement souffert. Seul le chant supérieur est plat. S’il est d’origine, cela marque la jonction avec le bloc qui était placé au-dessus et complétait la scène par des inscriptions (la limite supérieure du bloc du musée Rodin ne correspond pas à la hauteur maximale du registre), voire comportait la scène d’un registre supérieur.

L’absence de détails fin, en partie due aux ravages du temps, doit sans doute aussi beaucoup au choix du matériaux, une pierre dure donc difficile à travailler.

Toute la partie gauche paraît jaunie : cela peut être dû aux conditions de conservation, à une veine un peu différente dans la pierre ou bien à des traces laissées par la terre d’enfouissement. Celle-ci est particulièrement présente dans l’arrondi entre le chant droit et le chant inférieur. Sur la figure centrale, une sorte de patine assombrit la pierre.

Des projections de plâtre et des taches sont visibles sur les chants et la face avant de l’œuvre. 

Description

Sur ce fragment de paroi orné de bas-reliefs sont représentées deux scènes tronquées, séparées par une bande verticale en relief. Dans la partie droite, deux divinités sont représentées tournées vers la droite : un dieu assis suivi d’une déesse debout.

À l’extrémité droite, le dieu est assis sur un siège dont seul le dossier arrondi subsiste. Il porte sur la tête un mortier dans lequel sont fichées quatre hautes plumes et qui repose sur une perruque courte couvrant les oreilles du dieu. Au niveau de son front se dresse un uraeus. Il semble également doté d’une barbe qui doit être la barbe à l’extrémité recourbée caractéristique des dieu masculins anthropomorphes. Il est paré d’un large collier-ousekh à plusieurs rangées de perles (semblable à celui conservé au Metropolitan Museum of Art inv. 22.1.247), un pendentif en forme de scarabée qui déploie des ailes de faucon (symbole de renaissance) et un pectoral-naos (voir par exemple celui au nom de Ramsès II conservé au musée du Louvre E 79). Il est vêtu d’un pagne lisse à ceinture, sans doute un pagne court qui arrivait au-dessus des genoux. L’amorce du bras gauche indique qu’il était tendu devant lui, tenant probablement un sceptre-ouas, tandis que le bras droit, également tendu, devait tenir une croix-ânkh.

Le visage du dieu, à l’aspect un peu poupin, présente un nez arrondi, une bouche souriante aux lèvres épaisses, des joues charnues et un menton court et rond. Ces traits renvoient à la production artistique de la XXXe dynastie. Les premiers souverains grecs vont perpétuer le style de la dernière dynastie indigène d’Égypte si bien que, sans nom royal, il est difficile d’attribuer la représentation à la XXXe dynastie ou à la dynastie lagide, encore plus à un règne précis.

 

Le dieu est suivi par une déesse léontocéphale. Un éclat a emporté la partie basse du corps mais il ne fait aucun doute qu’elle se tenait debout. La tête, au profil léonin clairement identifiable, avec des yeux profondément creusés, est dotée d’une oreille féline pointue et haut placée d’où part une collerette de fourrure qui fait le tour du cou, séparant ainsi la partie animale de la partie humaine de la divinité.

Elle porte sur la tête une perruque tripartite, commune à la plupart des déesses, surmontée d’une couronne-atef. À la traditionnelle mitre centrale surmontée d’un disque solaire et flanquée de chaque côté par une fine plume d’autruche – attribut de Maât –, s’ajoutent plusieurs éléments : les plumes sont encadrées par un uraeus – cobra dressé, attribut divin et royal assimilé à l’ « Œil de Rê » – surmonté d’un disque solaire, tandis qu’à la base ont été placées deux cornes de bélier torsadées entre lesquelles pointe un disque solaire. La couronne-atef est généralement l’attribut d’Osiris, le désignant comme souverain de l’Au-delà (voir, par exemple, la représentation d’Osiris Ounennéfer de la tombe de la reine Néfertari publiée dans WILKINSON, 2003, p. 120), mais elle est également portée par le pharaon dans certains rituels.

L’aspect complexe qu’elle revêt ici renvoie davantage à Héryshef, un dieu étroitement lié à Rê et Osiris, comme sur l'amulette en or E 11074 conservée au musée du Louvre. Un élément d’une telle couronne – une plume de Maât flanquée d’un uraeus à disque solaire reposant sur une corne torsadée – est conservé dans les collections du musée de Lyon (musée des Beaux-Arts de Lyon G 1371). Il est daté de l’époque ptolémaïque et devait orner la couronne d’une statue.

 

La déesse est moins richement parée que son parèdre puisqu’elle ne porte qu’un collier simple à la base du cou. Aucune délimitation de la partie supérieure du vêtement n’est visible : peut-être porte-t-elle une jupe moulante haute, remontée sous le sein, à la manière des divinités de l’époque ptolémaïque ; peut-être le sculpteur n’a-t-il pas figuré la délimitation de son vêtement afin de retranscrire sa transparence. Le sein rond et bombé, qui semble implanté de manière peu naturelle sur la poitrine, est caractéristique de la XXXe dynastie (par exemple dans le cintre de la stèle de Thônis-Héracléion, qui porte un décret de Nectanébo Ier, conservée au musée gréco-romain d’Alexandrie) et de l’époque ptolémaïque (comme sur la stèle EA 612, conservée au British Museum).

Le bras droit pend le long du corps et tenait sans doute une croix-ânkh tandis que le bras gauche, légèrement projeté vers l’avant, tient un sceptre dont le sommet adopte la forme d’une ombelle de papyrus. Attribut traditionnel des déesses égyptiennes, il fait écho au hiéroglyphe ouadj, symbole de vigueur et d’éternelle jeunesse.

 

La même divinité, dans la même attitude et portant les mêmes attributs est représentée en symétrie par rapport à la ligne de séparation (elle est tournée vers la gauche), dans la partie gauche du fragment. Nous ne pouvons affirmer pour autant que les deux scènes étaient identiques.

 

S’il existe plusieurs déesses léonines plus ou moins interchangeables – Sekhmet, Bastet, Méhyt, Tefnout ou encore Hathor –, l’iconographie du dieu (coiffe particulière, uraeus et bijoux) nous permet d’identifier ce couple comme Anhour (Onouris) et sa compagne Méhyt.

Nous savons par l’épigraphie qu’il existe un culte pour ce dieu guerrier et chasseur dès la fin du IIIe millénaire mais ses fonctions, sa mythologie et son iconographie restent largement méconnues avant la XVIIIe dynastie. Il apparaît alors généralement anthropomorphe, comme sur le relief du musée Rodin, mais certains récits le présentent comme un homme à tête de lion, symbole de force et de pouvoir. Nous connaissons peu de choses de la déesse-lionne Méhyt, sa contrepartie féminine, si ce n’est qu’elle veille sur l’orée du désert et contrôle les ouadis ; elle occupe également un rôle de protectrice des sanctuaires.

Plusieurs textes font allusion à un mythe dans lequel Anhour, parti chasser dans le désert, traque une déesse lionne. Il la ramène en Égypte où elle devient son épouse sous le nom de Méhyt. Anhour signifie d’ailleurs « Celui qui ramène la Distante ». Selon Géraldine Pinch, cette Déesse Distante n’est peut-être à l’origine qu’une personnification des déserts de Nubie (PINCH, 2002, p. 177).

On ne peut que faire le parallèle avec le mythe de la Déesse Lointaine, dans lequel l’ « Œil de Rê », fille et protectrice du dieu (qui peut être Sekhmet, Hathor, Bastet, Mout, Tefnout, Ouadjet ou bien Méhyt), ivre de colère pour des raisons qui divergent selon les traditions, s’enfuit dans le désert (de Nubie dans certaines versions) sous la forme d’une lionne. Rê envoie alors un de ses fils (Thot, Chou ou Anhour) pour apaiser la déesse et la ramener en Égypte, auprès de lui, où se trouve sa place. En récompense, le dieu victorieux obtient d’épouser la déesse.

C’est sans doute la similitude entre ces deux mythes, ainsi qu’une autre lecture possible du nom du dieu Anhour, « Celui qui porte le ciel », qui conduit les Égyptiens du Ier millénaire à assimiler d’une part Anhour et Chou, maître de l’air qui soutient le ciel, d’autre part Méhyt et Hathor-Tefnout, et à amalgamer les deux mythes, à moins que ceux-ci n’aient dès l’origine constitué deux variantes d’un même récit.

Puisque Chou et Tefnout sont parfois identifiés respectivement au soleil et à la lune, Méhyt peut personnifier la pleine lune ; son retour à sa place symbolise alors la restauration de l’œil d’Horus, incarnation de la lune et de l’ordre cosmique. Cette assimilation trouve un écho dans la signification du nom Méhyt, « Celle qui est complétée ».

 

Leurs principaux lieux de culte se trouvent à This (Thinis), dans la région d’Abydos et, à partir du Ier millénaire, à Sébennytos, dans le Delta. Ce site a d’ailleurs livré plusieurs reliefs où Anhour et Méhyt sont figurés côte à côte, debout (Copenhague, Ny Carlsberg Glyptothèque, AEIN 1061 ; KOEFOED-PETERSEN 1956, p. 48-49 et pl. 59) ou bien assis (Baltimore, Walters Art Museum inv. 22.5), datés respectivement des règnes d’Alexandre IV (fils d’Alexandre le Grand) et de Ptolémée II.

Hati, un scribe du temple d’Onouris à This qui a vécu à l’époque ramesside, a laissé une statue-cube théophore très intéressante : contre ses jambes, il présente des figurines d’Onouris-Chou et de Méhyt « qui réside dans Béhédet (Edfou) », chacune assise sur son propre siège (British Museum EA 1726). Une chapelle est effectivement consacrée à Méhyt « qui réside dans Béhédet » au sein du temple d’Edfou. Elle renferme un hymne adressé à la barque de la déesse qui met en exergue son rôle de protectrice du temple. Anhour (Onouris) est également représenté à ses côtés dans ce même temple (cf. CAUVILLE, 1982). À partir de la période gréco-romaine, Anhour et Méhyt sont fréquemment représentés sur les murs des temples comme acteurs principaux du mythe de la Déesse Lointaine et comme divinités protectrices du fait de leur caractère guerrier.

 

L’épigraphie nous apporte la clé pour déterminer la provenance du relief du musée Rodin. En plus de confirmer l’identité de la déesse, la mention de la localité « Tcheb-netcher », c'est-à-dire la Sébennytos des Grecs (actuelle Samanoud), nous renvoie à la capitale du XIIe nome de Basse-Égypte, berceau des souverains de la XXXe dynastie et principal lieu de culte du couple divin à partir du IVe siècle avant J.-C. Le temple d’Anhour et Méhyt, majoritairement construit en granite rose, a depuis longtemps été démantelé et de nombreux blocs sont éparpillés tant dans les musées que chez les collectionneurs privés. Les autres sont conservés in situ. Les cartouches relevés appartiennent à Nectanébo II, Philippe Arrhidée, Alexandre IV et Ptolémée II. Selon toute vraisemblance, la construction du temple a débuté sous Nectanébo Ier (les statues du musée du Louvre E 25492 et du musée Rodin Co. 1420 témoignent de son activité sur le site) mais la pose du décor remonte au règne de Nectanébo II, qui a également fait ériger deux naos, l’un dédié à la dyade locale formée par Anhour et Méhyt (musée du Caire CG 70012 ; ROEDER, 1914, p. 42-43, pl. 14, 47 b-e), l’autre dédié à Chou (musée du Caire CG 70015 ; ROEDER, 1914, p. 47-48, pl. 63 c-d, 83 a-b). Les travaux se sont poursuivis sous les règnes suivants, notamment Ptolémée II. C’est sans doute de ce temple que provient le relief Co. 1408.

 

Il est également possible, mais moins probable, que le relief provienne du temple voisin de Behbeit el-Hagar (ancienne Hébyt), dont les étapes de construction et de décoration sont semblables. Bien que dédié au culte d’Isis et Osiris-Hemag, des blocs inscrits au nom de la déesse Méhyt « maîtresse de Sébennytos » et la figurant au côté d’Anhour y ont été découverts. La dyade de Sébennytos recevait un culte dans une chapelle érigée sur le toit du temple (SPENCER, 1999, p. 81). 

Related pieces

Si le relief du musée Rodin provient bien de Sébennytos, il ornait les parois du temple où était placée une statue du roi Nectanébo Ier, également conservée dans les collections du musée sous le numéro Co. 1420.

Inscription

Dans son état actuel, l’inscription, incomplète, comprend une colonne de hiéroglyphes (lecture droite-gauche) encadrée par deux lignes verticales, le tout exécuté selon la technique du bas-relief. Il subsiste également des traces d’un signe nb entre la colonne de hiéroglyphes et le disque qui couronne la coiffe de la déesse, témoignant de la présence d’une deuxième colonne de texte.

L’inscription est difficile à lire du fait de l’état de conservation des reliefs. On distingue néanmoins, après un signe endommagé qui appartenait au nom de la déesse, la mention « Fille de Rê, maîtresse de Tcheb-netcher (Sébennytos) » ainsi que quelques signes qui comprennent plusieurs lectures. La comparaison avec des blocs inscrits provenant des temples de Sébennytos et de Behbeit el-Hagar permet de comprendre la suite de l’inscription, qui se poursuivait et de restituer la séquence : « Méhyt, la fille de Rê, maîtresse de Tcheb-netcher, l’Œil de Rê, la maîtresse du ciel, souveraine de tous les dieux ».

Ces blocs, qui sont conservés soit dans des musées (Copenhague, Ny Carlsberg Glyptothèque AEIN 1061 ; KOEFOED-PETERSEN, 1956, p. 48-49 et pl. 59), soit in situ à Sébennytos (EDGAR, 1911, p. 92, n°4 = SPENCER, 1999, p. 59, n°6 ; EDGAR, 1911, p. 92, n°5 = SPENCER, 1999, p. 61, n°8, fig. 6, pl. IX,1 ; EDGAR, 1911, p. 93, n°7 = peut-être SPENCER, 1999, p. 67-69, n°19, fig. 17) et Behbeit el-Hagar (NAVILLE, 1890, p. 26 et pl. VI), sont datés des règnes de Philippe Arrhidée, Alexandre II Aegos (Alexandre IV) et Ptolémée II. 

Historic

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian en mai 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 80, Bas-relief fragmentaire en granit de Syène représentant un roi (→) coiffé de la double plume et portant au cou un collier terminé par un pectoral. Derrière lui une déesse léontocéphale (→) coiffée de l’atef. Roi et déesse sont vus jusqu’à mi-corps. La même déesse (tournée ←) était figurée à nouveau dans la partie gauche du bas-relief. Haut 62, Larg 60. [Estimé à] 1000 Frs.

Donation Rodin à l’État français 1916

Historic comment

Le relief fut posé le lond du mur, dans le vestibule de l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français. Il y fut photographiée par Eugène Druet après mai 1913, à côté du torse Co.1420 (Ph.06034).

 

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Scène d’offrandes funéraires

Égypte > provenance inconnue

Datation > Moyen Empire > Fin XIIe - début XIIIe dynasties

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 37,8 cm ; L. 35,5 cm ; Ép. 5 cm

Calcaire

Co. 953

Comment

State of preservation

L’œuvre est en assez bon état de conservation. Ce fragment de relief en calcaire adopte une forme quasiment carrée ; aucun chant n’est original. Les chants supérieur, inférieur et gauche sont plans et présentent des traces de ciseau et de râpe. Les traces d'outils ont été coupées pas le sciage du dos, ce qui prouve que le chant a été rabattu avant le sciage. Les traces d'outils ne sont pas incompatibles avec un travail antique.. Le chant droit est une cassure et ne semble pas présenter de trace d’outil. Au revers, de nombreuses traces de sciage témoignent elles aussi de la dépose du relief. Le revers présente par ailleurs une cassure dans l’épaisseur due au sciage.

L’épiderme de la pierre est émoussé, griffé et épaufré. L’angle inférieur gauche montre une large cassure dans l’épaisseur. L’angle supérieur droit a été cassé puis recollé.

On constate des traces de terre sur la face et les chants, à l’exception de l’angle supérieur droit, qui a été nettoyé de façon drastique et de la cassure de l’angle inférieur gauche.

 

Description

Ce fragment est orné d'une stèle d’une scène représentant un homme apportant des offrandes – le bord inférieur correspond d’ailleurs à la ligne de sol – au-dessus de laquelle se développent plusieurs lignes d’inscriptions hiéroglyphiques.

L’homme est debout, tourné vers la gauche, dans l’attitude de la marche, jambe gauche en avant vu en mirroir pour des raisons d'aspective. Il présente devant lui des offrandes : une fleur de lotus épanouie à longue tige de la main droite, un canard pilet de la main gauche, qu’il tient par les deux ailes et dont les plumes sont détaillées par des incisions. Il est coiffé d’une perruque courte et bouclée qui couvre l'oreille. L’œil est allongé et surmonté d’une ligne incisée qui indique la paupière. Il porte un large collier-ousekh, à trois rangs de perles incisés. Il est vêtu d’un pagne court, le pan droit croisé par-dessus le gauche, maintenu par une ceinture dont la boucle est visible sur le devant.

 

Devant et derrière ce personnage, des offrandes sont entassées sur des nattes. À gauche de la scène, on peut voir une laitue dont les feuilles sont détaillées par des incisions, un morceau de viande, deux pains coniques ; d’autres aliments étaient figurés plus à gauche et sont aujourd'hui manquants. En-dessous, on distingue encore la partie supérieure d’un récipient. À droite de la scène, on observe une oie troussée, des côtes de bœuf, un pain conique et un pain ovale. Une jarre de vin, représentées « sous » ces nattes chargées de victuailles selon le principe de l'aspective, complètent les aliments de ce repas funéraire.

 

Dans la partie gauche de la scène, derrière l’amoncellement d’offrandes le plus important, le défunt était peut-être représenté assis, en taille héroïque, tourné vers la droite comme en témoigne les hiéroglyphes qui s'y rapportent, en direction de l’homme qui lui apporte des offrandes. Il y avait peut-être un troisième personnage dans la partie droite de la scène, derrière le second amoncellement d’offrandes, à une échelle identique ou moins importante que le défunt et tourné dans le même sens que le porteur d’offrandes, son frère.

 

À partir du Moyen Empire, dans l'espace de culte funéraire, les représentations du défunt attablé devant des victuailles (dites « scènes de repas funéraire ») témoignent des nombreuses offrandes alimentaires dont le mort pouvait bénéficier. L’offrande, volontairement représentée comme abondante, est éternelle car figée à jamais dans la pierre ; idéalisée, elle ne reflète pas nécessairement les aliments présentés au défunt dans la pratique réelle. Dans les formules et les représentations, le pain et la bière constituent l’offrande de base, composante essentielle de l’alimentation et de l’économie des Égyptiens. On figure également des pièces de viande – au premier rang desquelles la patte antérieure de bœuf, très chargée symboliquement –, mais aussi des légumes, des gâteaux, etc.

 

Le choix d’une simple natte pour présenter les offrandes reflète également une pratique réelle puisque la natte est le premier support des offrandes faites aux défunts par leurs proches dans la tradition égyptienne. Le signe hiéroglyphique signifiant « offrande », hetep, est d’ailleurs composé d’un pain conique sur une natte enroulée. Cependant, dans la pratique des rites, la natte coexiste dès l'origine avec d’autres types de support, notamment des tables d’offrandes et des bassins en pierre. Sur les représentations, elle est utilisée conjointement avec le guéridon (dont la forme du pied varie légèrement selon les époques), qui finit par la supplanter au début de la XVIIIe dynastie (JÉQUIER 1919, p. 238-239).

 

La présence de la laitue n’est pas anodine : c’est une offrande de choix que l’on trouve souvent représentée sur les murs des monuments funéraires (royaux comme privés) dès l’Ancien Empire. Elle joue un rôle dans le mythe et le culte du dieu Min puisqu’elle est réputée renforcer la puissance procréatrice du dieu de la fertilité et peut donc être liée à l’idée de renaissance à laquelle aspire chaque défunt. Cette charge symbolique particulière est certainement due au rapprochement entre le latex blanc s’écoulant des tiges lorsqu’elles sont brisées et la semence du dieu ithyphallique. Si elle n’apparaît pas nommément dans les listes d’offrandes, la laitue est sans doute comprise dans la catégorie des « jeunes verdures » ou « produits de l’année » qui y sont mentionnés. Au Moyen Empire, la laitue est souvent représentée sur le guéridon d’offrandes placé devant le défunt, avec des pièces de viande et d’autres aliments.

 

Certaines offrandes nous fournissent des éléments de datation. Si le pain conique à base arrondie est connu dès la fin de l’Ancien Empire, le pain ovale orné d’incisions, lui, n’apparaît pas avant le Moyen Empire. Le récipient représenté sous la natte gauche, surmonté par un couvercle d’argile au profil concave, est ll sun vase nemset. Ce type de cruche, à corps cylindrique, fond arrondi et posé sur un support annulaire en terre cuite (pour la stabiliser), n’apparaît pas avant le Moyen Empire, où on le retrouve alors fréquemment. De même, la poterie à fond rond et bouchon pointu, reposant sur un anneau en terre cuite faisant office de support, est caractéristique du Moyen Empire où elle apparaît couramment, souvent par paire de part et d’autre du guéridon d’offrandes, ou en association avec le vase Nemset. C’est par exemple le cas sur la stèle EA 805 du British Museum, où ils présentent un style moins épuré (HALL 1912, pl. 40). Ces deux récipients restent encore en usage par la suite. D’après ces éléments, la datation du relief du musée Rodin ne peut être antérieure à la XIIe dynastie. les titres du personnage  (iry-at pr-aA, camérier du palais,  apparaît sous Sésostris III.
 

 

S’il se situe aujourd’hui au centre de la scène, le porteur d’offrandes ne devait être qu’un personnage secondaire dans le tableau original. Sainte Fare Garnot l’identifie comme un fils du défunt. Cette hypothèse est gratuite. En effet, c'est le fils aîné qui est supposé exécuter les rites funéraires en l’honneur du parent défunt. Cependant, des serviteurs, désignés par leur nom, sont souvent figurés apportant des offrandes à leur maître. Le thème de l’homme offrant un oiseau et une fleur de lotus est bien attesté depuis l’Ancien Empire (notamment aux Ve et VIe dynasties, dans les défilés de porteurs d’offrandes). Le mastaba de Mérérouka à Saqqara, daté de la VIe dynastie, renferme une scène partiellement conservée dans laquelle le propriétaire de la tombe, dans l’attitude de la marche et en taille héroïque, est suivi de son épouse et précédé de son fils aîné, qui tient dans la main gauche une fleur de lotus et dans la main droite un canard vivant (WILSON, ALLEN 1938, pl. 8).

 

En s’appuyant sur tous ces éléments ainsi que sur la pureté du dessin et la qualité de la réalisation, Sainte Fare Garnot a donc proposé une datation au début de la XIIe dynastie. Cependant, les inscriptions nous amènent à abaisser cette datation à la fin de la XIIe dynastie ou au début de la XIIIe dynastie.

 

Le relief provient d'une nécropole du Moyen Empire, Abydos, Louxor, Héliopolis, Dahchour ou Licht, etc. du Moyen Empire. La scène était peut-être placée en façade, comme le suggère l’emploi du relief dans le creux, souvent préféré au bas-relief pour les scènes sculptées en extérieur.

Inscription

L’inscription hiéroglyphique qui se développe horizontalement au sommet de la scène devait donner les nom et titres du propriétaire du monument à qui étaient destinées les offrandes. Les signes, simplement gravés et de taille importante, se lisent de la droite vers la gauche ; l’inscription est encadrée par deux lignes horizontales gravées.

Sainte Fare Garnot a restitué le nom Rénefséneb, peut-être par analogie avec la légende qui identifie le seul personnage encore visible. Cet anthroponyme est bien attesté à l’Ancien et au Moyen Empire (RANKE 1935, p. 223, n°17), mais la fin du hiéroglyphe qui précède seneb est perceptible : il ne s’agit peut-être pas d’un f car sa forme est légèrement plus droite et la gravure plus superficielle que pour les autres attestations du signe de la vipère sur le document. Le défunt pourrait se nommer simplement Séneb, prénom attesté durant toute la période pharaonique (RANKE 1935, p. 312, n° 15).

 

Au-dessous, trois lignes d’inscriptions hiéroglyphiques en creux, plus petites et se lisant de gauche à droite, sont délimitées par des lignes horizontales gravées.

La première inscription est gravée au-dessus du porteur d’offrandes. Elle est séparée des deux autres lignes d’inscriptions par un trait vertical. Elle donne uniquement le titre « préposé à la chambre du palais royal (litt. « de la grande maison ») », une fonction qui doit s’apparenter à celle de camérier. Il n’existe pas d’attestation de camérier antérieure au règne d’Amenemhat II, ce qui nous amène à dater cette scène funéraire au plus tôt du milieu de la XIIe dynastie. De par son emplacement et le sens de lecture, il est possible, mais cependant incertain, que le texte fasse directement référence au personnage conservé. Malgré la ligne verticale de séparation, ce titre est peut-être à rattacher au texte qui suit dans la partie droite.

Les deux autres lignes d’inscriptions hiéroglyphiques sont gravées l’une au-dessus de l’autre. La première désigne « son frère Amén[y] » (prénom courant à partir du Moyen Empire ; cf. RANKE 1935, p. 26, n° 18). En l’état, cette mention est immédiatement suivie par le texte de la seconde ligne, qui donne une filiation par le père « qu’a engendré Bébi […] » (un prénom aussi bien masculin que féminin, que l’on trouve dès l’Ancien Empire ; RANKE 1935, p. 95, n° 16). Nous ignorons malheureusement la longueur originale de ces deux lignes superposées et par conséquent si elles font référence au même personnage.

Si tel est bien le cas, de par leur mise en valeur et leur orientation, on peut supposer que le frère du défunt participait au banquet funéraire et qu’il était représenté dans la partie droite de scène, aujourd'hui perdue.

 

Sous la fleur de « lotus », une colonne de hiéroglyphes dont la partie inférieure est endommagée, se lisant de gauche à droite donc orientée dans le même sens que le personnage, donne sans aucun doute le nom de ce dernier : Rénefséneb ou Irefséneb. Sainte Fare Garnot identifie cette légende comme la suite de « préposé à la chambre du palais royal », ce qui semble improbable au vu de la disposition des inscriptions.

 

L’onomastique et la titulature confirment une datation à partir du Moyen Empire. 

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 169, "Fragment de stèle [ ?] représentant un [hiéroglyphes] du nom de [hiéroglyphes] debout (←) entre deux tables d’offrandes et présentant de la main droite une fleur et de la gauche un oiseau. Haut 37 cent, plus grande larg 35 cent. 12e dynastie. (Estimé à) 300 F."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

Le relief fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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Femme respirant une fleur de lotus

Égypte > provenance inconnue

Nouvel Empire > première moitié de la XVIIIe dynastie

[voir chronologie]

Calcaire

H. 27,2 cm ; L. 26,2 cm ; Ép. 5,2 cm

Co. 946

Comment

State of preservation

Le fragment est dans un état de conservation moyen. Aucun bord n’est d’origine : les chants, parsemés d’éclats, portent des traces d’outils (ciseaux plats) ; le chant gauche semble avoir été scié. Le revers est marqué par des traces de ciseaux plats et de sciage ou de râpe.

La cassure de l’extrémité inférieure, oblique, a emporté le corps de la femme sous les épaules. La surface est marquée par plusieurs éclats dont deux importants, à la fin de la première et sous la quatrième colonne de hiéroglyphes. Les reliefs sont émoussés, en particulier la fleur de lotus.

 

Le fragment conserve des restes de polychromie : bleu et ocre rouge dans le creux des hiéroglyphes ; traces infimes de bleu sur le collier ; ocre jaune, blanc, noir et rose dans les creux des carnations ; blanc et noir dans l’œil ; noir sur la perruque.

La teinte générale ocre jaune du fragment apparaît avec plus ou moins d’intensité selon les endroits ; elle est notamment très présente sur la moitié gauche de l’œuvre mais totalement absente sur une largeur d’environ 1 cm le long de la ligne de sciage du chant gauche, ainsi que sur ce chant. Sans analyse, il est difficile de déterminer s’il s’agit de la terre d’enfouissement ou d’une intervention tardive, après insertion du fragment dans une structure de présentation qui aurait protégé l’extrémité gauche.

 

En bordure de la cavité pratiquée pour insérer la tige métallique du socle, la pierre, plus fragile, s’est fracturée, sans doute lors du soclage ; le fragment a été recollé, probablement à la même époque.

 

Les rapports d’intervention de 2000 et 2008 ont signalé un très mauvais été de conservation du fragment : la pierre présentait une cohésion faible et possédait des zones de fragilité avec des pulvérulences et des délitements ponctuels en feuillets, en particulier sur la face et le dessous du relief.

Description

Ce fragment est séparé en deux par une ligne horizontale incisée qui délimite deux types de motifs exécutés dans deux techniques différentes et ainsi deux épaisseurs de pierre : plusieurs colonnes de hiéroglyphes en creux occupent la partie supérieure tandis qu’une figure féminine, sculptée en bas-relief, occupe la partie inférieure.

 

La femme, tournée vers la droite, porte à son nez une fleur conventionnellement appelée « fleur de lotus ». La courbure de la tige ainsi que l’amorce des bras nous permettent, au moyen de comparaisons avec de nombreux reliefs, de restituer sa position. Elle était assise sur un siège ou bien agenouillée au sol. Son bras droit était tendu, la main ouverte, posée sur sa cuisse ou placée au-dessus ; sa main gauche était ramenée contre son torse, enserrant la tige de la fleur (on peut encore voir une partie de son pouce).

Si l’action de porter une fleur à son nez est bien attestée dès l’Ancien Empire (par exemple sur le relief du musée du Louvre E 10971, attribué à la VIe dynastie ; ZIEGLER, 1990, p. 276-279, ill. 277-279, n° 53) et se développe au Moyen Empire, tant pour les hommes (comme sur la stèle du général Antef, conservée à la Ny Carlsberg Glyptotek (AEIN 0963) et datée de la XIe dynastie) que pour les femmes (voir par exemple la stèle de la XIIe dynastie conservée au British Museum, EA 143 ; BUDGE, 1912, pl. 44), cette façon de tenir la fleur, le poing contre la poitrine, induisant une double courbure de la tige, ne semble pas apparaître avant le début du Nouvel Empire (on la trouve par exemple sur la stèle EA 218 du British Museum, datée du début de la XVIIIe dynastie, sur laquelle une femme est agenouillée non pas au sol mais sur un siège ; HALL, 1925, pl. 10 ; ou encore sur la stèle du musée du Louvre E 145, de la même période, qui figure cette fois un homme assis sur un siège). L’œuvre Co. 946, généralement attribuée au Moyen Empire, ne doit donc pas être antérieure à la XVIIIe dynastie.

 

La femme est coiffée d’une perruque longue tripartite peinte en noire et parée d’un large collier-ousekh dont les détails ne sont pas indiqués. Le vêtement qu’elle porte est encore partiellement visible : une seule bretelle, la gauche, est représentée, de même que la délimitation supérieure de la robe. Les représentations de robe fourreau à bretelle unique sont bien attestées au Moyen Empire (comme sur la stèle EA 561 du British Museum ; BUDGE, 1912, pl. 25) mais aussi au Nouvel Empire, notamment durant la première moitié de la XVIIIe dynastie (voir par exemple la stèle inv. 07.420 du Brooklyn Museum).

Le visage, peint en ocre jaune, présente un nez droit dont la base est peu prononcée, au bout arrondi. L’œil, surmonté par un sourcil arqué figuré en relief, était peint en blanc et l’iris en noir d’après les traces de pigments. Le coin interne de l’œil est aigu et avance sur le nez tandis que la partie externe descend légèrement vers la joue. Il est prolongé par un trait de fard en relief qui s’étend vers la tempe. L’oreille est petite et haut placée. La bouche, aux lèvres charnues, semble esquisser un léger sourire. Le menton est court et anguleux. Le cou est peu allongé.

 

Un petit élément en relief est conservé devant la femme, à l’angle inférieur droit du fragment. Le motif apparaît incurvé et peint en noir. Il s’agit probablement d’un morceau de perruque longue ou mi-longue, appartenant à un personnage placé devant elle et tourné dans le même sens. Il pourrait être son époux, possiblement le « […]emhat » mentionné dans le texte. D’après les conventions de représentation des couples assis dans l’art égyptien, la femme enlace généralement son conjoint en posant une main sur son épaule la plus éloignée, comme on peut le voir sur la stèle d’Intef, datée de la XIe dynastie et conservée au Metropolitan Museum of Art (inv. 57.95). Sur l’œuvre du musée Rodin, la position des bras de la femme ne permet pas de contact tactile avec ce personnage inconnu. Cependant, il existe des images de couples qui ne suivent pas cette règle, comme sur le papyrus EA 9900,32 du British Museum, attribué au règne de Thoutmosis IV.

On peut également envisager la possibilité d’un groupe familial figuré sous le texte, comme on en trouve sur de nombreuses stèles (par exemple la stèle EA 311 du British Museum, de la XVIIIe dynastie, sur laquelle sont présents les parents, la fratrie et la descendance du propriétaire de l’objet, tous agenouillés les uns derrière les autres sur deux registres). Cependant, chaque personnage représenté est généralement accompagné d’une légende qui donne son nom et son lien de parenté avec le propriétaire de la stèle, ce qui ne semble pas être le cas sur ce relief.

Enfin, s’il n’est pas un morceau de perruque, cet élément pourrait appartenir à une offrande, disposée sur une table ou présentée par une autre personne (enfant ou serviteur).

 

Ce que la littérature égyptologique appelle « fleur de lotus » – désignée comme séshen en égyptien ancien – est en réalité une fleur de nénuphar bleu (Nymphaea caerulea). Lorsqu’elle émerge de l’eau, cette fleur de nénuphar s’ouvre au matin, laissant apparaître une boule d’étamines jaune or au milieu de pétales bleutés, et se referme l’après-midi. Ainsi la fleur reste-t-elle ouverte le temps d’une journée et peut s’ouvrir trois ou quatre jours d’affilée seulement. Après quelques jours, la fleur, fanée et fermée, sombre dans l’eau et n’émerge plus. Les théologiens égyptiens y ont vu l'image du disque solaire sortant de l'océan primordial (le Noun) chaque matin et ont intégré cette fleur à leur cosmogonie. Ils l’ont également associée à leur devenir post-mortem puisqu’elle est évoquée dans le chapitre 81 du Livre des Morts. Le « lotus » est donc associé au soleil, à la naissance et à la renaissance.

Sa symbolique va plus loin : la fleur est souvent représentée portée au nez par les particuliers depuis l’Ancien Empire jusqu’aux dernières dynasties ou bien portée comme ornement sur le corps ou dans les cheveux, tant par les hommes que par les femmes. On a pu voir dans sa présence une référence à l’agrément de son parfum et donc à la joie en général, à la sensualité voire à l’érotisme. On a même évoqué la possibilité que cette fleur ait été employée comme psychotrope, car elle apparaît souvent dans des scènes de banquet et de réjouissances, associée à la mandragore. Tenue en main par des défunts, elle pourrait également faire référence au pouvoir de renaissance prêté aux cosmétiques en général et au parfum en particulier : celui-ci occupe une place importante dans les croyances, car il est l’odeur des dieux et agit donc comme protection contre la putréfaction et, par extension, la mort.

 

Le geste de porter une fleur de « lotus » à son nez comme le fait le personnage de la stèle Co. 946, geste qui peut paraître trivial ou coquet, est en réalité éminemment symbolique et particulièrement omniprésent sur les reliefs à caractère funéraire pour évoquer la renaissance post-mortem et la jouissance des sens que le défunt espère conserver même après sa mort.

 

Ce fragment de relief, combinant inscriptions à caractère autobiographique et figurations humaines, appartenait sans doute à une stèle plutôt qu’à une paroi de tombe. La proximité entre le texte et l’image, impliquant une surface de travail restreinte, appuie cette hypothèse. Le fragment ayant été déposé, c'est-à-dire découpé et enlevé du monument d’origine, il devait appartenir à une stèle très épaisse ou à une stèle fausse-porte intégrée dans une structure plus importante.

Inscription

La partie supérieure du fragment est occupée par la fin de quatre colonnes d’inscriptions hiéroglyphiques gravées, bien conservées, à l’exception d’un gros éclat sur le dernier signe de la première colonne. Ces colonnes sont séparées les unes des autres par une ligne verticale gravée, également visible devant la première colonne. À l’extrémité gauche, quelques signes sont partiellement visibles : ils appartiennent sans doute à une cinquième colonne de hiéroglyphes mais il ne subsiste aucune trace de ligne de séparation entre cette dernière et la précédente.

Le creux des signes porte encore des traces de peinture bleue ; les lignes de séparation sont peintes en rouge.

La lecture se fait de haut en bas et de droite à gauche. Le texte est malheureusement trop incomplet pour que l’on puisse en comprendre le sens, à peine peut-on distinguer quelques mots, mais il semble s’agir d’une inscription à caractère autobiographique.

On reconnaît la fin d’un anthroponyme « […]emhat », qui pourrait correspondre aux noms Amenemhat ou Montouemhat, très courants à partir du Moyen Empire (cf. RANKE, 1935, p. 28, n°8 et p. 154, n°7). Il s’agit peut-être du nom du propriétaire de la stèle, dont les propos sont rapportés immédiatement après.

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913 ; achat ?

 

Donation Rodin à l’État français 1916

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Femme assise, tournée vers la droite

Égypte > provenance inconnue

L’âge classique > Moyen Empire 

[voir chronologie]

Calcaire

H. 15 cm ; L. 12,3 cm ; Ép. 2 cm

Co. 839

Comment

State of preservation

L’état de ce fragment de bas-relief, de forme approximativement triangulaire, est assez bon. La cassure de la partie supérieure forme une pointe et épargne de justesse le visage du personnage représenté. La cassure inférieure coupe le personnage au niveau des genoux tandis que la cassure de l’extrémité droite a préservé le bras droit du personnage mais pas son bras gauche, tronqué au-dessus du coude. En surface, la pierre est altérée : elle est piquetée et griffée, légèrement épaufrée par endroits (bretelle gauche de la robe, bordure gauche du fragment) mais cela ne gêne en rien la lecture de l’œuvre. Des marques d’outils sur le fond témoignent des gestes effectués par le sculpteur égyptien.

 

Le revers est largement marqué de traces d’outils (râpe). La surface est plus claire et plus propre que la face sculptée, ce qui indique qu’il s’agit d’une intervention récente qui correspond certainement à la dépose du fragment. Le chant gauche, plan, semble original ; il est marqué de quelques coups de ciseau diagonaux. Les autres chants sont des cassures.

 

On observe encore quelques restes de polychromie : ocre rouge sur la bordure, le siège du personnage et son bras gauche ; ocre jaune sur les carnations ; noir sur la perruque (d’infimes traces se trouvent aussi sur le menton, la joue, les bretelles, le collier, le cou et le bras gauche).

 

Malgré l’intervention de nettoyage de 2010, de l’encrassement demeure piégé dans les microanfractuosités de l’épiderme altéré, ce qui n’empêche en rien la lisibilité des modelés et l’éclat des restes de polychromie.

Description

Le fragment conserve la représentation d’une figure féminine tournée vers la droite. Cette svelte dame est assise sur un siège cubique à dossier bas recouvert d’un coussin. Elle allonge son bras droit devant elle, l’avant-bras parallèle aux cuisses et la main droite ouverte au-dessus des genoux. D’après l’amorce du bras gauche, qui a presque totalement disparu, il était également tendu devant elle, mais placé plus haut que le bras droit : elle allait très probablement se saisir d’un objet (aliment posé sur une table d’offrandes ou pion de jeu).

 

Elle porte une perruque tripartite, coiffure féminine par excellence, qui se retrouve tout au long de la période pharaonique. Si les mèches de cette perruque n’ont pas été individualisées, sa chevelure naturelle semble apparaître en-dessous, au niveau du front. Elle est parée d’un large collier-ousekh, dont les quatre rangs de perles sont rendus par des incisions concentriques, et d’un bracelet à motifs carrés.

Elle est vêtue d’une longue robe moulante qui monte juste sous le sein. La bretelle gauche, entièrement visible, est triangulaire ; la bretelle droite est en partiellement cachée par les cheveux. Le sein est représenté hors de la robe, comme s’il n’était pas couvert par la bretelle. Il s’agit là d’un exemple du principe d’aspective, mis en œuvre dans l’art égyptien : le sein, élément déterminant de la femme, est figuré de profil et bien visible pour que le personnage représenté soit immédiatement identifiable. De même, la main droite ressemble à une main gauche, ce qui ne correspond pas à une maladresse du sculpteur mais à une astuce discrète, permettant de bien faire figurer le pouce, mettant par ailleurs en valeur la finesse des phalanges. La dame étant tournée vers la droite, et sa paume étant vers les genoux, son pouce droit aurait été masqué.

 

Son visage est petit. La ligne de profil montre une racine du nez peu prononcée, un nez droit et pointu, des lèvres charnues, ainsi qu’un petit menton arrondi. L’œil est grand et très allongé, il occupe presque toute la largeur du visage. Les coins de l’œil sont marqués, le coin interne descend vers le nez tandis que le coin externe remonte vers la tempe. Une incision au-dessus marque la paupière mais il n’y a aucune figuration de maquillage. L’oreille est très grande et haut placée. Elle fournit peut-être un indice de datation puisque c’est principalement dans la deuxième moitié du Moyen Empire que l’on retrouve cette caractéristique : l’oreille de grande taille est utilisée dans l’iconographie pour illustrer la grande qualité d’écoute du souverain. L’angle de la mandibule est rendu par le changement d’épaisseur du relief entre le visage et le cou, qui est long et fin.

 

Ce relief était peint à l’origine et l’on observe encore quelques restes de polychromie. Suivant les conventions de l’art égyptien, les carnations de la femme étaient ocre jaune et sa perruque était noir. On trouve aussi d’infimes traces de noir sur le menton, la joue, les bretelles, le collier, le cou et le bras gauche. Des pigments ocre rouge sont présents sur la bordure, le dossier bas du siège ainsi que le bras gauche de la femme.

 

L’extrémité gauche du fragment est bordée par un liseré en relief : deux bandes verticales peintes en ocre rouge, séparées par une ligne incisée. La bande de droite est lisse. Celle de gauche, de type tore, est décorée de doubles incisions parallèles horizontales délimitant des rectangles, eux-mêmes incisés de deux traits obliques parallèles. Ce liseré indique la limite de la scène, voire même la limite originale de l’œuvre. La couleur ocre rouge représentant le bois en Égypte ancienne, il faudrait peut-être y voir l’indice d’un encadrement imitant le bois, le tore étant consolidé par des liens figurés par les incisions.

 

Ce fragment de relief est dépourvu des inscriptions qui accompagnaient très certainement la scène et donnaient l’identité de la figure féminine. Rien dans son iconographie n’indiquant qu’il s’agit d’une reine ou d’une déesse, nous pouvons donc supposer qu’elle était une noble dame que les textes désignent habituellement comme « maîtresse de maison ».

 

Ce fragment, datable du Moyen Empire d’après le style, proviendrait à l’origine de la paroi d’une tombe ou bien d’une stèle épaisse de type stèle fausse-porte. Cette dernière peut d’ailleurs se présenter comme un objet matériel indépendant placé dans une tombe ou dans un temple, ou bien comme un élément architectural faisant partie intégrante de la tombe. Le mouvement des bras laisse penser qu’ils étaient probablement tendus vers une table d’offrandes dans une scène devenue un poncif de l’art égyptien : celle du repas funéraire (voir, pour comparaison, la stèle fausse-porte de la dame Iit-en-heb, datée du règne de Sésostris II (XIIe dynastie) et provenant de la tombe 124 d’El Harageh, conservée à la glyptothèque Ny Carlsberg de Copenhague (ÆIN 1664 ; JØRGENSEN 1996, p. 162-163, n° 65).

Inscription

Aucune.

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.

Inventaire Boreux 1913 : Hôtel Biron, 257,  "Fragment de bas-relief (ou de stèle) en calcaire peint en rouge. Une femme (→) est assise sur un siège dont tout le bas manque. Elle a le bras droit allongé au-dessus du genou ; le bras gauche a disparu presque en entier. Plus grande haut. 14 cent, plus grande larg. 12 cent. (Estimé à) 20 F."

Donation Rodin à l’État français 1916

Historic comment

Le relief fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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Homme assis présentant un naos

Statue-cube naophore

Égypte > provenance inconnue

Nouvel Empire, probablement époque ramesside, XIXe-XXe dynastie

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 44,5 cm ; L. 24,2 cm ; P. 13,7 cm

Diorite

Co. 5697

Comment

State of preservation

Divers impacts de différentes tailles parsèment toute la surface de l’œuvre. De grands éclats ont emporté la moitié droite du visage ainsi que le coin avant droit du socle et les orteils du pied droit. L’angle du coude droit est brisé et la cassure se poursuit en une fissure jusqu’au coin supérieur droit du naos. À l’arrière, la moitié supérieure du pilier dorsal a disparu, ne laissant que son négatif. Cet enlèvement très régulier pourrait résulter d’une action anthropique plutôt que d’un accident ou d’une dégradation naturelle.

L’ensemble de la statue a par ailleurs subi une érosion – résultant sans doute d’une exposition au vent et au sable – qui a effacé la majorité des détails, adoucissant les arêtes et gommant les volumes qui permettaient de distinguer les différentes parties du corps, notamment au niveau des jambes.

La teinte orangée visible en surface, particulièrement présente dans les creux, provient de la terre d’enfouissement.

 

Description

La statue représente un homme assis aux proportions ramassées, les jambes ramenées à la poitrine, les bras croisés sur les genoux, l’avant-bras droit passant par-dessus le gauche. La statue prend l’apparence générale d’un cube et appartient à un type statuaire appelé pour cette raison « statue-cube » ou « statue-bloc ». L’aspect cubique et massif du corps est accentué par l’absence de cou – la tête paraît simplement posée entre les deux mains à plat sur les bras – ainsi que par le modelé des membres, largement gommé. En dehors de la tête, seuls les pieds dépassent de ce « cube ».

 

L’homme arbore une perruque mi-longue épaisse et ondulée, qui couvre à moitié les oreilles. Cette perruque apparaît à la XVIIIe dynastie et connaît plusieurs variantes ; elle est attestée jusqu’au Ier millénaire, avec une fréquence particulière à l’époque ramesside. On la trouve par exemple, avec les mèches détaillées, sur la statue-cube de Khâemouaset, datée du règne d’Amenhotep III et conservée à Baltimore (Baltimore, Walters Art Museum inv. 22.68) ou encore sur celle de Houy, conservée au Louvre et datée de la XXe dynastie (Musée du Louvre N 519).

 

Aucune délimitation de vêtement n’est clairement visible mais on peut supposer que le personnage porte un pagne long, lisse et moulant. À l’arrière, la taille est légèrement cintrée. Au niveau des hanches, un surplus de matière semble modifier la ligne du corps et pourrait indiquer la limite supérieure d’un vêtement. Le pagne serait donc porté sous le nombril.

Sur chaque bras est gravé un cartouche, aujourd'hui illisible. Cette caractéristique se retrouve sur les statues-cube (et d’autres types statuaires) dès la XVIIIe dynastie et devient fréquente à l’époque ramesside, notamment sous Ramsès II. Si, sur la statue de Manakhtef conservée au Louvre et datée d’Amenhotep II (Musée du Louvre E 12926), le cartouche correspond bien au roi sous lequel le dignitaire a vécu, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, une statue-cube en gneiss conservée au musée du Caire (Musée du Caire CG 626 ; BORCHARDT, 1925, p. 172-173) et datée du règne de Ramsès II (XIXe dynastie) porte les cartouches de Psousennès (XXIe dynastie) : il s’agit d’une récupération à une époque postérieure, un phénomène fréquent dans l’art égyptien. Les cartouches sur la statue du musée Rodin pourraient nous aider à estimer l’époque de réalisation ou bien de réutilisation de la statue sans apporter de certitude.

Contre les jambes de l’homme est figuré, en faible relief, un naos rectangulaire surmonté d’une corniche à gorge, dont l’extrémité inférieure suit la courbure du dessus des pieds du personnage. Il contient un emblème de la déesse Hathor : un sistre – instrument de musique égyptien – hathorique. Celui-ci est composé d’un manche cylindrique supportant une tête féminine vue de face avec des oreilles de vache, qui rappelle les piliers hathoriques utilisés en architecture, comme dans le temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari ou encore le temple consacré à Hathor à Dendera, d’époque ptolémaïque.

La tête est surmontée d’une coiffe dont les hautes volutes, de part et d’autre, figurent en fait les cornes de vache stylisées d’une divinité primitive, Bat, absorbée par Hathor dès la fin de l’Ancien Empire. L’élément central de la « coiffe » adopte la forme d’un petit édifice rectangulaire qui n’est autre qu’un naos, en fait la caisse de résonance de l’instrument. Sur un objet réel, cette caisse de résonance est traversée de tigettes sur lesquelles sont enfilées des rondelles métalliques qui s’entrechoquent et produisent un crissement clair et rythmé lorsque l’instrument est violemment secoué. Un bel exemplaire de sistre à naos datant de l’époque ptolémaïque est conservé dans les collections du Metropolitan Museum (Metropolitan Museum of Art inv. 58.5a).

 

L’état de conservation général empêche d’apporter plus de précisions quant aux détails et au style. D’après l’ensemble des éléments qui subsistent aujourd’hui, la statue du musée Rodin peut être située dans une période qui s’étend de l’époque ramesside à la fin du Ier millénaire avant J.-C. Le modelé très épaté du visage et les lèvres bien charnues peuvent néanmoins rapprocher l’œuvre Co. 5697 d’autres statues-cubes ramessides, comme celle d’Amenmès, datée du règne de Ramsès III (Musée du Caire CG 42177 ; LEGRAIN, 1909, p. 42-43, pl. 41 ; VANDIER, 1958, p. 459, 537, 663, pl. CLXXIV,5) ou la statue EA1085 conservée au British Museum.

Les statues-cubes font leur apparition au Moyen Empire (au début de la XIIe dynastie) et perdurent jusqu’à l’époque ptolémaïque, avec une large diffusion au Nouvel Empire et à la Basse Époque. Cette typologie réservée aux particuliers est presque exclusivement masculine.

Généralement en pierre – les matériaux les plus courants sont la diorite, le calcaire et le quartzite –, on connaît néanmoins quelques rares exemples en bois et exceptionnellement en bronze (matériaux plus difficiles à conserver donc à retrouver). Les premières attestations de statues-cubes apparaissent en contexte funéraire. Dès l'origine, à l'époque de Sésostris 1er, les statues-cubes sont conçues pour être placées dans les temples : leur matériau solide allié à leur massivité en font des objets résistant aux intempéries qui peuvent être exposées dans les cours à ciel ouvert des temples et ainsi constituer des ex-voto offerts par les particuliers.

Ces statues-cube sont habituellement le support d’inscriptions plus ou moins développées, presque toujours des formules d’offrandes auxquelles s’ajoutent parfois des éléments biographiques ou des extraits de livres funéraires. Elles peuvent également être décorées d’images secondaires, par exemple des représentations des membres de la famille du dédicant ou des reproductions de scènes de culte qui rappellent le lieu où elles étaient déposées.

 

Ce rattachement à la sphère divine et au monde du temple est particulièrement explicite avec les statues-cubes naophores : une image de naos est figurée contre les jambes du personnage qui semble tantôt faire corps avec lui, tantôt le tenir devant lui. Extrêmement nombreuses, elles apparaissent dès la fin de la XVIIIe dynastie et se multiplient à l’époque ramesside et au Ier millénaire. Le naos peut être vide ou contenir une image divine. La statue Co. 5697 n’est pas seulement naophore, elle est également sistrophore puisque le naos contient un sistre.

La typologie de la statue sistrophore aurait été créée pour Senmout, grand intendant de la reine Hatchepsout, à la XVIIIe dynastie. On connaît plusieurs statues de ce personnage, figuré agenouillé, présentant des emblèmes hathoriques (à titre d’exemple, celle conservée au Metropolitan Museum of Art, inv. 48.149.7). Cependant, les statues-cubes sistrophores semblent connaître par la suite plus de succès, en particulier durant le Nouvel Empire et la seconde moitié du Ier millénaire avant J.-C. (pour un exemple datant de la XXVe-XXVIe dynastie trouvé dans la nécropole des vaches sacrées d’Atfih, voir EL-ENANY 2012, p. 129-138 et p. 129, note 2 pour une bibliographie de référence des statues sistrophores).

 

Si le sistre est l’emblème hathorique par excellence, cela ne signifie pas pour autant que la statue prenait place dans un temple dédié à la déesse Hathor. Le sistre n’est pas un simple instrument de musique : le son qu’il produit a pour particularité d’apaiser les divinités. Il joue un rôle important dans l’ensemble des cérémonies religieuses (et peut-être aussi funéraires).

 

Inscription

Deux cartouches illisibles sont gravés sur la statue, un sur chaque bras. 

Historic

Acquis par Rodin auprès de Joseph Altounian en 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 71, "Statue anépigraphe d'un personnage accroupi, tenant devant lui l'emblème hathorique (sistre sur un pilier hathorique) figuré dans un naos. Granit gris. Tout le côté droit du visage manque.Haut. 45 ; Larg. 23. Estimé six cent francs."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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Khâemouaset présentant une image divine

Statue théophore

Égypte > Région thébaine ou Coptos (probablement)

Nouvel Empire > époque ramesside > XIXe-XXe dynastie, règne de Ramsès II (vers 1279-1213 avant J.-C.) ou Ramsès III (vers 1186-1154 avant J.-C.)

[voir chronologie]

Grauwacke probablement

H. 36,4 cm ; L. 12,9 cm ; P. 26,1 cm

Co. 965

Comment

State of preservation

Seule la partie inférieure de la statue est conservée. Du personnage masculin debout, seule subsiste la partie comprise entre les hanches et les chevilles. La partie droite est particulièrement endommagée : une cassure diagonale a amputé le fragment depuis le nombril jusqu’au mollet droit. Seule la main gauche est encore présente. Quelques petits éclats sont observables sur les jambes, le pouce gauche mais surtout sur les arêtes du devanteau du pagne et du pilier dorsal.

La statuette du dieu présentée par le personnage est très mutilée : un éclat a emporté la moitié droite du corps, depuis l’épaule gauche jusqu’à l’extrémité inférieure du pagne, à droite, faisant disparaitre la tête de l’image divine ainsi que sa main droite. La moitié droite du socle est de même épaufrée.

Description

Ce fragment de statue à pilier dorsal figure le Premier Prophète d’Amon Khâemouaset debout, présentant devant lui une statuette du dieu syncrétique Amon-Rê-Kamoutef [-Min ?]. Malgré l’état fragmentaire de l’œuvre, on peut lui attribuer une attitude statique car, sur les côtés, les deux jambes sont pratiquement à la même distance de l’extrémité du pilier dorsal. Cette attitude est moins habituelle dans la statuaire égyptienne que celle de la marche apparente, où la jambe gauche est avancée.

 

Khâemouaset est vêtu d’un pagne plissé long, doté d’un large devanteau triangulaire également plissé, qui descend jusqu’aux chevilles et remonte haut dans le dos ; il laisse entrevoir le galbe des jambes. Les retombées du nœud de maintien de ce pagne sont visibles de part et d’autre de la statuette qu’il présente. Leurs extrémités sont bordées de franges. Ce type de costume, qui apparaît à la XVIIIe dynastie, est courant à l’époque ramesside. Il est souvent associé à une chemise aux manches mi-longues plissées, dont Khâemouaset était peut-être vêtu à l’origine. Ce qui est conservé du personnage atteste de la parfaite maîtrise de l’artisan et du soin apporté dans l’exécution des détails (voir, en particulier, la finesse du plissé de son vêtement).

 

Une réserve de pierre relie le torse de Khâemouaset et la statuette divine qu’il présente devant lui. Le bras gauche, seul conservé, nous permet quelques observations. Le dessus du bras et de la main est très plat ; la distinction entre le bras et la main est marquée dans la ligne mais pas dans les volumes. Les ongles sont indiqués par une incision au bout de chaque doigt.

 

La statuette d’Amon-Rê-Kamoutef[-Min ?], sur un socle très haut, figure le dieu debout, dans l’attitude de la marche (jambe gauche en avant). Il est vêtu d’un pagne simple, court et moulant. Dans la main gauche, ramenée sur le torse, il tient un sceptre-ouas dont l’extrémité inférieure, fourchue, repose sur son pied gauche. D’après les traces d’arrachement, le bras droit était plaqué le long du corps mais il est difficile de déterminer si la main droite tenait un attribut. Pour comparaison, sur une statue théophore en grauwacke à peu près contemporaine (XIXe dynastie) conservée à Copenhague, le dieu Amon tient au bout de son bras étendu un signe ânkh (Ny Carlsberg Glyptotek AEIN 585 ; KOEFOED-PETERSEN, 1950, p. 42-43 et pl. 81, n° 67 ; JØRGENSEN, 1998, p. 230-231, n° 91). Cette iconographie renvoie pleinement à celle des dieux Amon et Amon-Rê et non du dieu syncrétique Amon-Min ou encore d’Amon-Rê-Kamoutef. Ces dernières divinités sont généralement figurées debout, les pieds joints, engoncées dans un linceul (à l’instar d’Osiris), ithyphalliques, la main gauche dans le vêtement (pour les œuvres en deux dimensions) ou tenant leur pénis en érection (pour les rondes-bosses), le bras droit levé, suivant l’iconographie du dieu Min (voir par exemple la statuette d’Amon-Rê-Kamoutef de la XXVIe dynastie, conservée au British Museum EA 60042). Les collections du musée Rodin conservent également une figurine en bois d’un Amon-Min-Kamoutef où le dieu a été représenté avec le bras droit levé, paume tournée vers l’avant (voir la notice Co. 2451/ Co. 6254). 

 

Malgré l’état de conservation des bras, on distingue clairement que la main gauche de Khâemouaset ne touche pas véritablement la statue divine, mais en est séparée par une réserve de pierre assez importante. Ainsi, Khâemouaset ne saisit pas la statuette comme s’il s’agissait d’un objet, sa main est en fait étendue tout à côté.

D’après Jacques Vandier (VANDIER, 1958, p. 462-463), la typologie de l’homme debout « tenant » une statue divine ou un symbole divin, c'est-à-dire la statue théophore, n’apparaît pas avant la XIXe dynastie. En réalité, les premières statues théophores datent du règne d’Hatchepsout, au milieu de la XVIIIe dynastie, et la paternité de la typologie peut sans doute être imputée à son grand intendant Senmout. Elles se développent surtout à partir de la fin de la XVIIIe dynastie et tout au long de l’époque ramesside, pour perdurer ensuite jusqu’à la fin du Ier millénaire avant J.-C.

Elles mettent en lumière le rapport entre l’homme et la divinité. D’abord considérées comme la commémoration de l’offrande d’une statuette divine faite au temple par un particulier, ou bien comme la matérialisation de la dévotion du dédicant qui se faisait représenter dans un rôle de protecteur de l’effigie divine, on estime aujourd’hui que ces statues figurent plutôt un face-à-face. La scène n’est pas d’adoration, car le personnage n’a pas les mains levées, paumes tournées vers la divinité, mais plus probablement d’attente respectueuse, les deux mains posées à plat sur les cuisses, face à la statuette. Le dédicant n’attend rien de moins que de bénéficier des bienfaits accordés par la divinité, notamment de la réversion des offrandes qui lui sont faites dans son temple.

 

La statue de Khâemouaset provient peut-être d’un temple dédié à la forme particulière d’Amon représentée ici : Amon-Rê-Kamoutef-[Min ?]. En effet, quand bien même Khâemouaset aurait été rattaché au très influent clergé de Karnak, comme le laisse supposer son titre de Premier Prophète d’Amon, il est tout à fait possible que la statue du musée Rodin provienne d’un autre temple, consacré à cette forme spécifique d’Amon (voir la section « inscription »). Il n’est pas rare que le membre du clergé d’un temple dédie une statue dans un sanctuaire autre que celui où il officie. Nous pouvons logiquement penser à la région thébaine, berceau du dieu Amon, où Amon-Rê-Kamoutef est bien attesté depuis la XIIe dynastie, de même que le dieu Amon-Min ou Min-Amon-Kamoutef depuis la XVIIIe dynastie. Nous pouvons également avancer que cette statue provient de la région coptite, un peu plus au nord, berceau du culte de Min, où un sanctuaire en l’honneur d’Amon de Karnak a été érigé durant la XVIIIe dynastie. Outre les vestiges archéologiques de ce sanctuaire, une stèle privée dédiée à Amon-Kamoutef et Isis, datée de la XVIIIe dynastie, a été découverte à Coptos (Lyon, musée des Beaux-Arts E 501-1723). Dans le cintre, la déesse Isis porte la croix-ânkh aux narines d’un dieu ithyphallique identifié comme « Min-Amon-Rê-Kamoutef qui préside à Karnak ».

Cependant, il n’y a pas de corrélation systématique entre le dieu représenté et le dieu tutélaire du temple où son image est déposée. La provenance hypothétique du grand temple d’Amon à Karnak ne peut donc être totalement écartée.

 

Inscription

Le pilier dorsal comporte une colonne de hiéroglyphes gravés en creux (lecture de droite à gauche), bordée de chaque côté par une ligne verticale incisée. Le texte est une formule d’offrande au bénéfice du Premier Prophète d’Amon Khâemouaset, un titre qui fait référence à la fonction suprême de chef du clergé d’Amon thébain et que l’on traduit souvent par « Grand Prêtre d’Amon » (sur ce titre et ses porteurs, voir la bibliographie dans COLLOMBERT, 1996, p. 56 n.4).

 

Le socle de la statue divine est, lui aussi, inscrit d’une colonne de hiéroglyphes en creux (lecture de droite à gauche) bordée de chaque côté par une ligne verticale incisée, mais seule celle de droite subsiste. Le texte permet d’identifier le dieu comme étant Amon-Rê-Kamoutef. L’inscription est incomplète et Philippe Collombert (COLLOMBERT, 1996, p. 52-53) propose de lire « Min » dans la lacune et d’obtenir ainsi le nom de la divinité syncrétique Amon-Rê-Kamoutef-[Min ?].

Cette lecture fait sens puisque Kamoutef est une forme ithyphallique d’Amon empruntée à l’antique dieu de la fertilité Min. Ce concept de Kamoutef – littéralement « le taureau de sa mère » – fait référence à une cosmogonie dans laquelle le soleil est mis au monde chaque matin par la vache céleste (souvent Hathor ou Nout). Chaque soir, après avoir parcouru sa course, ce « jeune veau à la bouche pure » féconde sa mère en s’engloutissant dans sa bouche avant de renaître à nouveau le lendemain. C’est ainsi que se perpétue le cycle du soleil permettant le cycle de la vie (voir CORTEGGIANI, 2007, p. 332-335). Il implique donc que le dieu qui porte cette épithète est à la fois son père et son fils, puisqu’il s’est engendré lui-même en fécondant sa propre mère. De manière plus générale, il utilise l’image du taureau, symbole de virilité, de puissance (notamment sexuelle) et de force procréatrice dans la pensée égyptienne.

En se voyant associé à la fois au dieu Min et à la forme Kamoutef, Amon-Rê entre pleinement dans son rôle de dieu créateur primordial capable de s’auto-procréer.

 

Le Khâemouaset figuré ici ne doit pas être confondu avec son célèbre homonyme, fils de Ramsès II. Une étude de Philippe Collombert a recensé plusieurs monuments inscrits au nom d’un Khâemouaset portant le titre de Premier Prophète d’Amon. L’un d’eux le désigne comme « fils du Premier Prophète d’Amon Oupouaoutmès » (LEFÈBVRE, 1929, p. 115, 245-246) ; même si la filiation du personnage n’est pas conservée sur l’œuvre du musée Rodin, il s’agit sans doute du même individu (COLLOMBERT, 1996, p. 52). Sur un autre document, il est « grand des voyants dans Thèbes », un titre porté par la plupart des Premiers Prophètes d’Amon aux XIXe et XXe dynasties. Enfin, sur un troisième monument, Khâemouaset est « sematy de Min-Amon », titre dont c’est l’unique attestation et dont on ne comprend pas toutes les implications, mais pour lequel on connaît, par ailleurs, la variante « sematy de Kamoutef ». La possible équivalence des deux titres trouve un écho dans la forme particulière du dieu présenté par Khâemouaset sur la statue du musée Rodin.

 

Les inscriptions sur ces monuments font également référence à son rôle dans un temple de « millions d’années » sur la rive ouest de Thèbes, en tant qu’officiant dans un voire plusieurs cultes funéraires royaux (COLLOMBERT, 1996 p. 52 et p. 57, n. 14). Du fait de cette spécificité, Philippe Collombert a mis en doute la supposition, logique lorsque l’on pense au « Premier Prophète d’Amon », que Khâemouaset serait ici le chef du clergé de Karnak et Grand Prêtre de l’ « Amon-Rê roi des dieux » thébain, et suggéré qu’il pourrait en réalité être le Premier Prophète de cette forme particulière qu’est Amon-Rê-Kamoutef-[Min ?], honorée dans un temple funéraire royal. Cette idée demeure cependant une hypothèse à laquelle on peut opposer que, d’une part, les titres de son père Oupouaoutmès tendent à indiquer qu’il était bien Grand Prêtre d’Amon et que, d’autre part, il n’existe pas d’autres attestations où la version abrégée du titre de « Premier Prophète d’Amon », sans mentionner la forme spécifique de l’Amon honoré, ferait référence à un Amon autre que celui de Karnak (COLLOMBERT, 1996, p. 55-56).

 

Quoi qu’il en soit, par son étude du texte, Philippe Collombert a confirmé que la paléographie (style de l’épigraphie) correspondait à l’époque ramesside ; il a établi que Khâemouaset avait pu exercer sa charge pontificale soit durant la première moitié du règne de Ramsès II, à la XIXe dynastie, soit sous celui de Ramsès III, à la XXe dynastie (COLLOMBERT, 1996, p. 54-55).

 

Historic

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 91 « Fragment (de la ceinture aux genoux) d’une statuette de personnage debout tenant devant lui un dieu ( ?), également debout et ayant à la main le sceptre [hiéroglyphe]. Le dieu est posé au-dessus d’un naos ( ?), faisant saillie et sur lequel on lit (→) [hiéroglyphes]. Pilier dorsal avec un proscynème au nom du 1er prophète d’Amon Khaemuasmit. Haut 37 Larg 25 cent »

Donation Rodin à l’État français 1916

Historic comment

Ce bas-relief fut acheté auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 statuette femme debout très belle draperie manque partie droite basalte verte XVIIIe dynastie 150 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la statue Co.965 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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Roi ou dieu coiffé de la couronne atef

Tête provenant d'une statue

Égypte > provenance inconnue

Ier millénaire, Basse Époque, (XXVIe-XXXe dynastie)

[voir chronologie]

Granitoïde

H. 29,9 cm ; L. 14,4 cm ; P. 23,9 cm

Co. 957

Comment

State of preservation

L’état de conservation est mauvais. Le fragment est affecté par de nombreux éclats et cassures. Le nez a disparu, de même que le bas de la joue droite, les rémiges qui encadraient la couronne – on voit encore l’amorce de la plume gauche et le négatif laissé par la plume droite – et le sommet de la coiffe. Les arêtes du pilier dorsal sont également très abimées ; des épaufrures ont endommagé l’inscription.

La bouche semble avoir été effacée par l’érosion.

Description

Cette tête masculine est coiffée de la couronne atef. Elle se compose d'une haute tiare, flanquée de deux plumes d’autruche et de cornes de bélier. Si la couronne atef est parfois portée par le roi à partir de l'Ancien Empire (Sahourî dans son contexte funéraire, par exemple) au cours de certains rituels, elle est surtout l’attribut du dieu Osiris, qui règne sur le monde des morts et préside au tribunal de l’au-delà, lors de la pesée des âmes. Les plumes d’autruche sont le symbole de la vérité et de la justice.

Nous pouvons donc supposer que cette tête appartenait à une statue d’Osiris engoncé dans son linceul, ou à celle d'un roi représenté sous forme osisirienne, placés debout ou bien assis.

 

La couronne porte les traces d’un uraeus. Un uraeus plus récent remplaçait l'uraeus originel, disparu mais dont les traces sont conservées sur l'œuvre. D’après la documentation et les photographies d’archives, cet uraeus restauré à une date inconnue avait une fonction plus symbolique qu’esthétique puisqu’il était très simplifié : un losange lisse avec, sans doute, une protubérance pour marquer la tête (déjà disparue sur une photographie de 1958) et une queue qui remontait le long de la couronne jusqu’à une hauteur que nous ne pouvons pas déterminer. Il a été enlevé avant l’exposition Rodin collectionneur, peut-être lors de l’intervention d'un restaurateur de la maison André.

 

Le visage est court et carré, puissamment modelé, mais l’état de la pierre nous prive de nombreux détails. La partie gauche du visage, mieux conservée, nous permet de distinguer des sourcils arqués en relief dont le contour est bordé par une incision et des yeux légèrement inclinés vers les tempes. Un trait de khôl marque le contour des yeux et les prolonge, ainsi que les sourcils, jusque sur les tempes.

Le négatif du nez nous indique qu’il était long, compte tenu des proportions du visage, et proche de la bouche. La commissure des lèvres était bien marquée, peut-être grâce à l’utilisation d’un trépan. Le menton est court et arrondi.

 

Une ligne incisée part de la couronne et fait le tour du visage : il s’agit de l’attache de la barbe recourbée, attribut des divinités masculines. Le dessous du menton est trop endommagé pour en estimer l’emprise.

 

À l’arrière de la statue, l’extrémité supérieure du pilier dorsal s’effile : il adopte peut-être la forme d’un obélisque. Même si cette caractéristique est plutôt rare, il ne s’agit pas d’un cas isolé. On trouve par exemple des piliers dorsaux en forme d’obélisque sur des colosses placés devant le IIe pylône du grand temple de Karnak ; réalisés sous les thoutmosides, ils ont été remployés et modifiés par Ramsès II. Des amulettes de divinités produites à l’époque saïte possèdent également un pilier dorsal en forme d’obélisque, comme l’amulette fragmentaire représentant Sekhmet conservée aux Musées d’Art et d’Histoire de Genève (MF 1410).

 

La statue, un peu plus petite que nature, se trouvait sans doute dans un temple, où elle avait été dédiée par le roi ou un particulier. Les inscriptions gravées sur le pilier dorsal, si elles avaient été mieux conservées, nous auraient sans doute permis de connaître l’identité du dédicant et l’emplacement originel de l’œuvre.

 

Inscription

Le pilier dorsal comporte une inscription hiéroglyphique répartie en trois colonnes. La colonne centrale, qui démarre plus haut, est délimitée de part et d’autre par une ligne verticale incisée et flanquée de chaque côté par une autre colonne de hiéroglyphes débutant plus bas.

Les hiéroglyphes sont gravés peu profondément. La lecture se fait de droite à gauche. 

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 283, " Tête royale ayant appartenu à une statue. Couronne blanche et uraeus. Sur la partie subsistante du pilier dorsal on lit (écrit verticalement) [hiéroglyphes]. Granit gris. Haut. 28 cent. [Estimée] 300 Fr. Le nez est cassé."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

La tête fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

Les photographies prises en 1958 par Bernard von Bothmer pour la constitution de son Corpus of Late Egyptian Sculpture (CLES) nous renseignent sur la présence d’un uraeus très schématique sur la couronne à cette date. Cet attribut royal n’est, de toute évidence, pas de facture égyptienne, du moins pas antique.

Les photographies prises en 1967, à l’occasion de l’exposition Rodin collectionneur, montrent que cet uraeus a disparu.

S’il est par ailleurs attesté que les anciens Égyptiens effectuaient des restaurations sur leurs monuments, il s’agit bien là d’une restauration moderne supprimée dans les années 1960, soit par souci d’authenticité, soit parce que l’uraeus était endommagé. Quant à son origine, elle est difficile à déterminer. On peut envisager une restauration pour favoriser l’achat, chez un antiquaire égyptien ou européen, afin de rendre à l’œuvre son aspect originel.

 

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Homme debout présentant l’image d’une divinité

Statue théophore

Égypte > provenance inconnue

Les derniers temps > Basse Époque probablement

[voir chronologie]

Grauwacke probablement

H. 32,2 cm ; L. 11,4 cm ; P. 15,5 cm

Co. 881

Comment

State of preservation

Bien qu’il s’agisse d’un fragment assez conséquent, l’état de conservation de l’œuvre est moyen. Dans sa partie supérieure, elle est préservée à mi-hauteur du torse du personnage, mais les bras ont presque totalement disparu (il reste des traces de l’avant-bras gauche) ; elle conserve encore la base de la main gauche, ainsi que la main droite – marquée par un éclat conséquent – et la partie supérieure du poignet droit. La partie supérieure droite du pilier dorsal a disparu dans une cassure, qui a emporté le bras droit et tout le flanc droit jusqu’au niveau des reins. La tête de la figure divine a totalement disparu.

Dans sa partie inférieure, une cassure traverse en biais la statue, depuis le genou droit jusqu’au mollet de la jambe gauche ; elle est un peu plus basse au niveau du pilier dorsal.

Des épaufrures de tailles variables parsèment l’œuvre, notamment, pour les plus importantes, les arêtes du devanteau du pagne ; on constate quelques petits éclats sur la main droite et les attributs de la divinité, la main gauche du personnage, les deux profils du dieu et du personnage.

À l’arrière, les arêtes du pilier dorsal sont constellées de nombreux éclats de différentes tailles. Une partie de l’inscription a été arasée, résultat des conditions d’enfouissement plutôt que d’une action anthropique. Le pilier dorsal présente plusieurs paillettes ocre rouge, peut-être des restes de polychromie. 

Description

Le personnage masculin debout, dans l’attitude de la marche, jambe gauche en avant, présente devant lui l’image d’un dieu.

Ce dieu se tient debout, engoncé dans une gaine d’où dépassent seulement ses mains. Des lignes verticales incisées et un léger ressaut dans la pierre indiquent la limite du vêtement, dont les pans recouvrent le dieu jusqu’au milieu des avant-bras. Le long de la ligne des épaules, un petit bourrelet de pierre indique la limite supérieure du costume.

Les mains sont placées l’une au-dessus de l’autre et tiennent des regalia : pour la droite, le sceptre-nekhakha (fléau) et pour la gauche, le sceptre-aout, attributs du dieu Osiris, le premier à avoir exercé la fonction royale dans le pays du Nil. La hampe du sceptre-aout se poursuit sous la main gauche mais ne se trouve pas dans le même axe que l’extrémité supérieure. C’est un trait qui se retrouve sur d’autres figures du dieu, par exemple sur les ex-voto d’Osiris en bronze du musée Rodin (Co. 792 et Co. 806) ou encore sur la statuette conservée au Metropolitan Museum of Art de New York (inv. 61.45). La figure du dieu ne semble pas avoir été pourvue d’un collier. Des traces d’arrachement sous le cou conservent le négatif d’une barbe dont l’extrémité devait être recourbée, attribut typiquement divin. Une réserve de pierre relie l’arrière de la tête de la figure divine et le torse du personnage. Elle est étroite comme s’il s’agissait d’un pilier dorsal et se prolonge assez haut sur le torse, indice que le dieu portait une couronne haute, probablement la couronne-atef, l’un des attributs classiques d’Osiris.

Les genoux sont modelés dans la pierre et une légère dépression indique la séparation des jambes.

La figure divine devait être placée sur un socle qui reposait en partie sur les pieds du personnage.

 

L’homme porte un pagne lisse au tissu très fin dont la ceinture, visible sous le ventre, est figurée par deux incisions. Laissée libre de tout décor, elle n’était pas représentée sur les côtés si l’on se réfère au côté gauche, le seul préservé. En partie avant, le pagne présente une avancée plate et inclinée : il s’agit d’un pagne à devanteau triangulaire long et lisse, costume qui apparaît à l’Ancien Empire ; il réapparaît sporadiquement au Nouvel Empire (VANDIER, 1958, p. 110, 249, 495). C’est un costume qui se retrouve encore au Ier millénaire avant J.-C.

Du fait de l’état de la statue, nous ne pouvons rien dire concernant le traitement du torse et des bras, qui étaient tendus et légèrement avancés. Néanmoins, l’allure générale du corps est celle d’un homme athlétique. Les mains sont étroites et les doigts longs et fins, à l’exception du pouce. Des incisions indiquent le contour des ongles. Sur les faces latérales, une incision sur le pilier dorsal dessine le contour de la fesse, peu bombée, et de l’arrière de la jambe.

 

Le personnage semble toucher du bout des doigts les coudes de l’image divine. Il ne la saisit donc pas comme s’il s’agissait d’un objet : ses mains sont en réalité étendues de part et d’autre de la statuette, sans vraiment la maintenir.

La typologie de l’homme debout « tenant » une statue divine ou un symbole divin, c'est-à-dire la statue théophore, apparaît à la XVIIIe dynastie. La paternité de cette typologie est sans doute à imputer à Senmout, grand intendant de la reine Hatchepsout. Les statues théophores se développent surtout à partir de la fin de la XVIIIe dynastie et à l’époque ramesside pour perdurer jusqu’à la fin du Ier millénaire avant J.-C. Elles mettent en lumière le rapport entre l’homme et la divinité. Jacques Vandier, dans son étude méthodique de cette typologie, s’est trouvé face à la difficulté d’interpréter le geste du personnage envers la statue divine de manière satisfaisante. Pour lui, le groupe théophore était peut-être la commémoration de l’offrande d’une statuette divine faite au temple par un particulier, ou bien la matérialisation de la dévotion du dédicant qui se faisait représenter dans un rôle de protecteur, non pas du dieu mais de la statuette divine.

En réalité, il faut plutôt voir dans ce type de groupe un face à face : la statue théophore est la représentation en trois dimensions d’une scène d’audience en deux dimensions entre le dieu et un particulier, qui appartient généralement aux classes supérieures de la société égyptienne. Le dignitaire est dans une attitude de prière et d’attente respectueuse, c’est-à-dire les deux mains posées à plat sur les cuisses, plutôt que dans une attitude d’adoration, les deux mains levées, les paumes tournées vers la divinité. Le dédicant n’attend rien de moins que de bénéficier des bienfaits accordés par la divinité, notamment de la réversion des offrandes quotidiennes qui lui sont faites dans son temple.

Ce petit groupe statuaire privé devait donc être placé dans la cour d’un temple, peut-être un sanctuaire dédié à Osiris. Cependant, il n’y a pas toujours corrélation entre le dieu représenté et le dieu tutélaire du temple où était déposée la statue. 

 

Inscription

Le pilier dorsal porte deux colonnes d’inscriptions hiéroglyphiques (lecture de droite à gauche) délimitées par des lignes verticales incisées. Les signes, gravés en creux avec soin, sont aujourd'hui très mutilés si bien que la lecture de la plupart d’entre eux demeure incertaine et il y a trop de manques pour combler les blancs grâce au contexte.

L’inscription devait, entre autres, énoncer les nom et titres du propriétaire de la statue, indications précieuses qui ne nous sont pas parvenues. Le texte rendait peut-être également compte des qualités morales du personnage, subtilité attestant de sa bonne foi auprès du dieu et appuyant sa demande. La publication de cette notice suscitera peut-être un raccord avec d’autres fragments, conservés dans d’autres collections, permettant ainsi de restituer l’identité et les fonctions du dignitaire représenté sur la statue Co. 881.

Historic

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 87, « Fragment d’une statuette de personnage debout qui tenait devant lui une image d’Osiris. Basalte gris. Haut max 30 cent. […] ».

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

La statue fut probablement achetée auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 statuette femme debout tenant Osiris sur les genoux granit noir 110 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la staue Co. 881 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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