Harpocrate

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVIe - XXXIe dynastie > 656 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 17,4 cm ; L. : 8 cm ; P. : 3,4 cm 

Co. 687

Commentaire

Etat de conservation

Le métal est uniformément oxydé sur l’ensemble de l’œuvre. La main droite est sectionnée, l’uraeus rapporté et la tige finissant la couronne de Haute Égypte. L’oxydation du métal a comblé l’espace entre le buste et le bras droit du personnage. Des incrustations d'or, notamment sur la couronne rouge, au bas de la nuque, ou d’électrum dans le bord interne des yeux, se devinent à l’œil nu.

Description

L’œuvre représente un personnage nu, marchant. Il s’agit de la divinité Horus l'Enfant, dit Harpocrate. Le dieu est placé sur socle rectangulaire dont il semble solidaire. Il s’avance vers l’avant de ce socle dans la position égyptienne évoquant la marche apparente, c’est-à-dire avec la jambe gauche en avant. La silhouette du dieu suit un angle légèrement déporté vers l’arrière à partir du niveau des épaules, ce qui ne correspond pas aux conventions esthétiques égyptiennes. Cette silhouette anormale est attribuable à un raccord d’origine. Les membres inférieurs de la divinité, fins et allongés, ont cédé au niveau des genoux, l’objet a alors été renforcé par modelage à ce niveau à une époque antique.

Le bras gauche est allongé le long du corps, son poing fermé pour serrer probablement un étui-mekes, rouleau contenant un décret divin qui était l’un des attributs du pharaon. Le bras droit est plié de façon à placer sa main, aujourd’hui perdue, sous le menton, l’index tendu vers la bouche comme c'est la cas pour toutes les représentations de l'enfance.

Le jeune dieu est couronné du pschent, coiffure royale composée de deux parties essentielles où la couronne rouge, représentant la Basse Égypte, est surmontée de la couronne blanche de Haute Égypte. Par le port de cette couronne, le pharaon était garant de l’unité du pays. La longue tige finissant en volute sur le devant de la couronne blanche manque ainsi que l’uraeus frontal. L’emplacement de ces deux éléments, rapportés autrefois sur la coiffe, est bien visible et consiste en deux profondes cavités circulaires. L’uraeus était l’image d’un cobra femelle gonflé et prêt à l’attaque, à la fois protection du pharaon et symbole de sa  puissance. Un large cercle entoure la cavité qui accueillait le tenon de fixation de la spirale- shebet du pschent. La couronne rouge de Basse Égypte, au mortier peu élevé sur le front, descend très bas dans la nuque. À l’arrière du crâne, la partie montante de la couronne rouge, particulièrement large, se termine au même niveau que la couronne blanche. Très étirée, cette couronne est trois fois plus haute que le mortier de la couronne rouge. Une épaisse tresse, autre caractéristique iconographique de l’enfance, se dégage du côté droit du crâne d’Harpocrate. Elle s’achève en volute externe devant l’épaule. Les mèches de la natte ne sont détaillées que sur sa partie antérieure. Un collier-ousekh ornait le cou du dieu. Sa présence est matérialisée par deux sillons arqués, incisés jusque derrière chaque épaule. Néanmoins, ni la composition de son décor ni son système d’accrochage derrière la nuque ne sont visibles. Mis à part ces quelques attributs, la divinité est entièrement nue.

Les arcades sourcilières, proéminentes, surmontent les yeux du dieu. Larges et ouverts, ils sont très détaillés. Ils sont entourés d’une épaisse ligne de fard et les pupilles ont été soigneusement indiquées. Un placage crème est observable dans le coin interne et externe de chaque œil. Une grande figure d’Isis allaitante conservée au Metropolitan Museum of Art de New York (45.4.3), présente des yeux similaires à l’Harpocrate Co. 687. Sur cette statuette en bronze datable de la XXVIe dynastie, un revêtement d’électrum matérialise le blanc des yeux (RUSSMANN Edna R., « Seated Isis Nursing Horus Horus », in Marsha Hill (dir.), Gifts for the Gods : images from egyptian temples, New York, Metropolitan Museum of Art, 16 octobre 2007-18 février 2008, p. 149-151, cat. n° 57, note 2, New York, New Haven, Londres, 2007). D’après le placage subsistant, il semble donc probable que les yeux de l’Harpocrate Co. 687 étaient également incrustés d’électrum. Le nez, en comparaison de la grandeur des yeux, semble petit et aquilin. Les joues sont rondes et pleines permettant ainsi de marquer profondément les ailes du nez et les commissures des lèvres. La bouche, petite et charnue, présente une lèvre inférieure plus épaisse que la supérieure. Le petit menton volontaire termine le visage rond et enfantin du dieu. Contrairement aux autres statuettes d’Harpocrate conservées dans les collections du musée Rodin, notamment Co. 774, Co. 789 et Co. 791, les oreilles sont petites et décollées. Les épaules sont larges, particulièrement celle de droite sur laquelle repose la mèche de l’enfance. Les bras sont fins et sans détail anatomique hormis le pli du coude et la séparation des doigts. Les muscles pectoraux et abdominaux ont été modelés sur le buste. Remarquons sur cette statuette l’absence des muscles dorsaux ; en revanche, les muscles fessiers sont clairement dessinés. Les proportions du dieu sont fines mais le bas-ventre est subtilement rebondi, autre caractéristique iconographique de l’enfance pour les Anciens Égyptiens, et percé d’un large nombril circulaire. Les parties génitales sont celles d’un enfant. La jambe gauche les déporte légèrement vers la droite. Le dieu étant en position de marche, les plis visibles à l’aine gauche sont plus évasés que ceux de l’aine droite. Les genoux ainsi que les tibias sont modelés sur les jambes, fines et longues. Les pieds, longs et fins, reposent à plat sur la base. La séparation des orteils est marquée et malgré la corrosion en surface, il est clairement visible que les ongles ont été soigneusement figurés en aplat.

 

Harpocrate est une divinité bien connue dans l’art égyptien. Son nom égyptien Horpakhered, « Horus l’enfant », a été transcrit par les grecs en Harpocrate. Sa première attestation date de la XXIe dynastie et sa première représentation de l’an 22 de Chéchanq III sur une stèle commémorant une donation pour le « flûtiste d’Harpocrate » (cf. FORGEAU Annie, Horus-Fils-d’Isis, La Jeunesse d’un dieu, BdE 150, Le Caire, 2010, p. 308).

Harpocrate est, à l’époque de son apparition dans le panthéon égyptien, Khonsou-l’enfant, fils d’Amon et de Mout et fait partie de la triade divine thébaine. Il devient ensuite un dieu à part entière, c’est-à-dire Horus l’Enfant, fils d’une union posthume entre Osiris et Isis. Enfant royal, son front est ceint d’un uraeus. Le dieu Seth, son oncle, cherchant à le tuer afin d’acquérir le pouvoir dont il doit hériter de son père, Harpocrate est élevé dans les marais de Chemmis, caché de Seth. De par son histoire, il obtient une double symbolique. Il est à la fois le nouveau soleil du matin et l’héritier divin qui doit succéder à son père, ce qui fait de lui le représentant et la représentation idéale du roi. Les pouvoirs divins qui lui sont attribués évoluent rapidement. Sa mère Isis l’ayant guéri d’une piqûre de scorpion, il obtient ainsi des capacités guérisseuses et protectrices face aux animaux dangereux, ce que montrent les stèles dites d’« Horus sur les Crocodiles ». Sur ce type de stèle, on peut voir Horus enfant foulant des pieds un ou plusieurs crocodiles et maitrisant de chaque main un animal considéré comme dangereux, tels que les lions, les serpents ou les scorpions (voir la quarantaine d’exemplaires conservés au musée du Louvre dans GASSE Annie, Les stèles d’Horus sur les crocodiles : Musée du Louvre, Département des antiquités égyptiennes, catalogue, Paris, 2004). Par similitude avec l’iconographie de Népri, dieu du grain et de la moisson qui peut être représenté nu avec un doigt à la bouche, Harpocrate devient également un dieu de la fertilité, lié au dieu Min et aux cultes agraires.

L’iconographie d’Harpocrate, dieu populaire à la fin des temps égyptiens, est simple et reconnaissable. Il s’agit d’un enfant nu, portant la mèche de l’enfance du côté droit du crâne et généralement l’index à la bouche. Il peut être debout, assis sur un trône, sur une fleur de lotus ou sur les genoux d’une déesse qui l’allaite. De par son aspect juvénile caractéristique, nudité et attitude naïve du doigt sur la bouche, bonnet enserrant le crâne avec mèche de l’enfance, proportions des parties génitales, et enfin rondeur des joues et du ventre, Harpocrate devint l’image de tous les dieux enfants d’un panthéon égyptien de plus en plus sophistiqué. Il est l’image de tous les fils des triades divines et est ainsi naturellement distingué comme protecteur des enfants. Les très nombreuses statuettes en terre cuite ou en bronze datant de l’époque hellénistique et romaine attestent de la popularité de son culte, dont l’apogée se situe durant le IIe siècle de notre ère.

 

Les auteurs classiques ont mal interprété le geste du doigt sur la bouche et l’ont compris comme étant « un symbole de discrétion et de silence », interprétation reprise par la suite par les initiés aux sciences relevant de l’ésotérisme. En aucun cas cette attitude fait mention d’un quelconque respect des dieux par le silence. Ce geste de placer le doigt sur la bouche pour marquer le silence est un geste de notre époque et de notre culture et ne peut pas être appliqué aux égyptiens anciens. L’attitude d’Harpocrate est simplement l’image de l’enfance, comme l’est la mèche tressée sur le côté du crâne. 

 

La statuette Co. 687 servait d'ex-voto. Elle a été commandé et probablement déposée dans un lieu de culte dédié à Harpocrate afin qu'acquérir sa protection. 

 

Le musée du Louvre conserve une œuvre similaire à celle du Musée Rodin Co. 687, E 3642. Cette oeuvre du Louvre est coiffée de la couronne-hemhem, contrairement à celle du musée Rodin. Le British Museum (inv. n° EA132908), ainsi que le Metropolitan Museum of Art de New York (inv. n° 04.2.613), conservent des oeuvres ayant une iconographie plus proche de Co. 687. Enfin, on peut voir exposées plusieurs œuvres similaires au Penn Museum de Philadelphie, notamment inv. n° E 2246 et inv. n° 42-21-14.

Les statuettes en bronze d’Harpocrate sont très nombreuses et figurent dans les collections de nombreux musées du monde.

Œuvres associées

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs exemples d’enfant en bronze, notamment Co. 789, Co. 810 ou Co. 2385, toutefois ces enfants sont dans la position assise. Il n’y a que deux œuvres qui correspondent à l’attitude de l’objet Co. 687, il s’agit de des statuettes Co. 774 et Co. 791.

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Meudon/atelier  de peinture/vitrine 10, 387, "Harpocrate coiffé du pschent, debout sur une base. Haut. 17 cent. Estimé cent francs."

Donation à l’État français en 1916.

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