Tête d'homme

"Grotesque"

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE
Époque ptolémaïque
TERRE CUITE 
CO. 6058

Commentaire

Etat de conservation

Etat fragmentaire. Seule la tête est conservée. 

Description

Il s’agit d’une tête d’homme imberbe et chauve à haut front. Les arcades sourcilières sont froncées au-dessus du nez, fortement arquées et relevées vers les tempes. Les yeux sont délimités entre une paupière supérieure arrondie et une paupière inférieure droite et épaisse, compressée par des pommettes très saillantes et relevées par le large sourire. Les sillons naso-géniens sont fortement creusés. La bouche est large et les lèvres sont épaisses. Les oreilles sont à peine détaillées. L’exagération du sourire de la tête Co. 6058 lui confère un aspect comique. 
Cette figurine peut être rattachée à une catégorie de figurines regroupées sous l’appellation générique de « grotesques ». Ce terme désigne une série de motifs très populaires à l'époque hellénistique, ayant en commun la représentation de figures grimaçantes et contorsionnées à l'aspect disgracieux. Ce terme est employé pour désigner les figurines de plusieurs ensembles iconographiques : les cas pathologiques – la qualité de la réalisation de beaucoup de ces objets permettent d'ailleurs de reconnaître des maladies et des handicaps : hydrocéphalie, lordoses, gibbosités, etc… - ; les représentations dites « réalistes », que l'on peut rapprocher des « sujets de genre » ; enfin, les caricatures de diverses catégories sociales, qu’il s’agisse des prêtres ou de personnes de rang subalterne. 
Ces figures ont été conçues en Grèce où elles dérivent des sujets théâtraux, apparus au Ve siècle av. J.-C. Les acteurs sont alors représentés dans leur rôle, caricaturaux, avec leur masque, un ventre postiche et un phallus postiche lorsque le rôle l'impose. Progressivement, la représentation de l’individu en tant que tel vient se substituer à l’acteur qui l’incarne. Ainsi, certains personnages tels la nourrice, le pugiliste ou l'esclave, intègrent au IIIe siècle le répertoire des caricatures et des figures réalistes. Le sourire ample et la contraction des muscles du visage chez Co. 6058 nous évoque d’ailleurs l’apparence des masques de théâtre. 
Les contextes de découverte des « grotesques » sont généralement mal connus, à quelques exceptions près. Outre l’exemple cultuel fourni en Egypte par le sanctuaire de Ras el-Soda, des contextes funéraires sont attestés à Myrina et des contextes domestiques à Priène. La diversité apparente des contextes d’utilisation, conduit à une interprétation difficile de la fonction. Les traductions ponctuelles des « grotesques » en métal et en ivoire montrent que ces effigies devaient avoir une certaine importance, ou du moins que leurs propriétaires devaient être parfois d'un certain niveau social. 
Hans Peter Laubscher suggérait en 1982 qu'il s'agisse d'accessoires de table. Suivant l'idée que le rire exorcise et protège, ces objets qui représentent certaines catégories de la société (le clergé, l’indigent, l’exclave, etc...) faisaient l'objet de moqueries à charge sociale. Les attitudes contournées de certaines figures permettraient d'ailleurs de contrer le mauvais œil. En dehors de la tombe et du temple, ces personnages auraient donc été le sujet de plaisanteries, mais aussi de méditations pendant les banquets. Certains « grotesques », dont des exemplaires de la collection d’Auguste Rodin comme la figure Co. 2505 ou la tête Co. 2538, arborent des couronnes et des colliers de fleurs, dont la connotation festive dénote leur lien avec le banquet. 
Luca Giuliani, en regard d'un texte d'Athénée (IV, 128 cff), propose un niveau de lecture additionnel à l’hypothèse de Laubscher : plus que de simples accessoires de table, l'infirme, l’esclave ou la vieille auraient été véritablement présents lors des festivités, affublés de couronnes et de colliers de fleurs, afin de distraire l'assemblée de bourgeois. Les « grotesques festifs » peuvent alors être identifiés comme des grulloi (bouffons dansants, souvent atteints de nanisme) ou des gelotopoioi (personnes risibles par leur attitude). Ces figurines et leurs modèles qui prêtaient à rire à ces occasions, auraient constitué, pour les classes aisées et fortunées, la garantie par contraste de leur propre bien-être et de leur intégrité physique, voire de leur intégrité mentale (Jeammet & Ballet 2011, p. 74-75).
Une figurine conservée au British Museum arborant le même sourire exagéré et provenant de Naukratis est datée par Donald M. Bailey du IIIe ou du IIe siècle av. J.-C. (Bailey 2008, cat. 3577, p. 151, pl. 106.) à l’aide de multiples comparaisons, permettant de proposer une datation similaire pour Co. 6058. 
Il s’agit d’une tête à piton. Fabriquée à part du corps, la tête est munie d’une pointe dans le prolongement du cou destinée à être enfoncée dans une cavité ménagée entre les épaules. La fixation est alors réalisée par contrepression du doigt depuis l’intérieur de la figurine, permise par l’ouverture d’une fenêtre d’assemblage au revers de l’objet. 
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