Reliquaire

Patte gauche de Thot sous sa forme d'ibis

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVI– XXXIdynastie > 672 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

Bronze

H. : 7,5 cm ; L. : 3,1 cm ; P. : 5,5 cm 

Co. 5994

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre présente un état de conservation correct, bien que le métal soit oxydé.

Cette patte, qui  faisait partie d’un ensemble figurant un ibis, est brisée au niveau de la cuisse. Quelques concrétions sont visibles sous la patte, autour du tenon et entre les doigts. Les détails du modelé de la patte sont toutefois encore discernables. 

Description

L’œuvre figure une patte d’ibis, se tenant debout. Il s’agit de la patte gauche d’un oiseau passant, de grande taille d’après sa hauteur, 7,5 cm. La cassure au niveau de la cuisse, concave, indique que cette patte n’était pas rapportée, mais au contraire modelée avec le corps par la technique de la fonte creuse. Le bas de la cuisse se poursuit sur une jambe relativement courte, traitée en entonnoir. Le pli du coude est clairement dessiné grâce à deux légers ressauts arrondis de métal. Le tarse est également rendu avec finesse par le dessin des os. Trois doigts, fins et détaillés, s’évasent vers l’avant, un quatrième -le pouce- s’étirant vers l’arrière. Les griffes sont clairement modelées. Un tenon métallique de section ovale, long et épais, a été ménagé sous la patte. Solide, il permettait l’insertion de la figurine sur un réceptacle, accueillant probablement une momie entière ou partielle de l’animal, ou bien sur un socle. Un tenon nettement plus  petit, visible sous la patte arrière,  assurait la stabilité de l’ensemble. 

Bien que d’un point de vue purement naturaliste la patte de cet ibis soit un peu courte (astuce permettant d’assurer une certaine stabilité à l’ensemble du volatile), il ne peut s’agir de celle d’un faucon, beaucoup plus courte comme nous pouvons le voir sur ceux de la collection, notamment les Co. 5996 et Co. 5997

 

Il existait deux sortes d’ibis en Égypte, l’« ibis blanc » (ibis aethiopica sive religiosa) et l’« ibis noir » (ibis falcinellus), auxquels Hérodote consacre son chapitre 76. Le premier affiche un plumage entièrement blanc et un bec rose, alors que le second a le cou, la tête, le bec, les pattes et la queue noirs. L’œuvre Co. 5994 ne présentant aucune trace de coloration, il est impossible de déterminer quelle espèce est ici figurée. 

L’ibis était considéré comme un ami des hommes car il détruisait les chenilles et les sauterelles qui menaçaient les récoltent, mais aussi d’après Hérodote, les serpents ailés venus d’Arabie et les scorpions. Il est étroitement et uniquement associé au dieu Thot, dieu lunaire, maître des « paroles divines » et seigneur d’Hermopolis. Thot, forme divinisée de Djéhouty identifié à Hermès par les Grecs, est le plus important des dieux lunaires. Il possède une personnalité complexe comprenant de nombreuses facettes. Il est à la fois la personnification de la Lune, mais aussi son protecteur, son gardien et parfois son adversaire. L’association à l’ibis se fait ici par la forme de son bec qui évoque le croissant de Lune, ainsi que par son plumage bicolore. Dans le Livre de la Vache céleste, Rê en fait son vizir et son substitut en déclarant : « Tu seras à ma place, mon remplaçant. On dira de toi : Thot, le remplaçant de Rê ». En tant que gardien et protecteur de la Lune, elle-même assimilée à l’œil d’Horus, Thot est « Celui-qui-compte-les-parties-[de-l’œil] » dans ses phases croissante et décroissante. Il possède ainsi des dons de calculateur et de mesureur. Les égyptiens ayant avancé que le pas de l’ibis faisait exactement une coudée, il est alors utilisé comme étalon type et Thot devient « maître de la coudée ». On retrouve souvent des statuettes en bronze d’ibis couchés pour que les pattes représentent le signe du bras qui était utilisé pour écrire une coudée. Les collections du musée Rodin conservent un exemple l’illustrant, Co. 5977.

De par l’observation rigoureuse et minutieuse des phases de la Lune, Thot devient le « savant » par excellence qui fait de lui le maître des écrits et du calame et le patron des scribes. Il établit le cadastre général de l’Égypte, inscrit le nom des rois sur l’arbre iched, légitimant leur accession au trône, et enregistre les résultats de la pesée du cœur. Enfin, il est juge et arbitre entre les dieux, notamment en prenant le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose Seth et Horus. 

 

Les innombrables représentations de Thot se limitent à trois types différents. Le plus souvent, le dieu est ibiocéphale. Il peut être également zoomorphe en prenant l’aspect d’un ibis ou d’un babouin assis, second animal sacré du dieu. Il est rare de le rencontrer entièrement anthropomorphe, ou cynocéphale bien que quelques exemples peuvent être cités, notamment dans la sixième heure du Livre de l’Amdouat, face à Nectanébo Ier dans les catacombes de Touna el-Gebel, ou sur la façade du tombeau de Pétosiris sur ce même site. 

Touna el-Gebel est connu pour être le centre culturel de Thot où la cosmogonie hermopolitaine s’est mise en place. On y trouve un ibiotapheion, immense nécropole animale où ibis et babouins y étaient momifiés et inhumés dans des jarres en terre cuite ou dans des cercueils en bois ou en calcaire. L’œuvre Co. 5994 représentant une partie d’une figure de reliquaire, il est possible qu’elle provienne de ce site. 

 

Les reliquaires de l’Antiquité égyptienne sont des objets archéologiques assez bien connus, les cimetières d’animaux sacrés étant nombreux sur le territoire égyptien. Ils comprenaient deux types d’animaux, les « uniques » et les « multiples ». La première catégorie regroupe des animaux choisis, parmi ses congénères et par les prêtres grâce à une statue divine qu’ils manipulaient, pour représenter de son vivant une divinité particulière. Les « uniques » les plus connus sont les taureaux Mnévis et Apis dont la plus ancienne attestation d’inhumation date du règne d’Amenhotep III. Ici, avec l’œuvre Co. 5994 il s’agit du reliquaire d’un « multiple ». Ces « multiples »n’étaient pas choisis pour leur caractère sacré mais c’est par les rites de leur mise à mort, leur momification et les prières récitées à cet instant que leur était conféréun caractère divin. Les animaux les plus représentés sont les serpents, les chats, les chiens, les ibis et les crocodiles. Ils n’avaient pas de pouvoir à part entière, c’était le dieu qu’ils représentaient à leur mort qui était encensé. Ils devenaient alors un ba de la divinité, acquéraient un rôle de médiateur et devenaient capables de transmettre les doléances de la population. Les reliquaires étaient créés sur demande des dévots et les prêtres se chargeaient d’y insérer l’animal entièrement momifié, soit une partie de sa momie, voire même un paquetage imitant la forme de l’animal. Ces « meurtres » étaient pratiqués cachés du regard de la population car la loi égyptienne condamnait à mort toute personne ayant tué même accidentellement un animal. Quoiqu’il en soit, ils étaient courants afin de subvenir aux besoins des commanditaires. Au fil du temps, les commandes devenant de plus en plus nombreuses, certaines bêtes étaient ainsi élevées dans le seul but de servir à leur mort d’objet de dévotion.

 

Les figures d’ibis sont des objets relativement nombreux. En voici quelques exemples :

Musée du Louvre, Paris : E2411.

Museo egizio de Turin : C.1015 et C.1011.

Metropolitan Museum of Art, New York : 04.2.462.

Brooklyn Museum : 86.226.19

 

Pour un exemple d’image d’ibis passant complet, acquise par le collectionneur Carl Jacobsen en 1892 en Égypte, voir la figurine en bronze de la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague ÆIN 270 (cf. JØRGENSEN Mogens, Catalogue EgyptV. Egyptian Bronzes Ny Carlsberg Glyptotek, s. l., Ny Carlsberg Glyptotek, 2009, n°84.1, p. 240-241).

Œuvres associées

Le musée Rodin conserve une autre patte en bronze appartenant à un ibis, Co. 5977. En revanche, cette œuvre figure une patte d’un ibis couché. De plus, elle n’était pas solidaire du corps mais comme le tenon dans le prolongement de la jambe le met en avant, elle était insérée dans un corps. Les collections du musée Rodin conservent également plusieurs statuettes d’ibis en bronze, Co. 211Co. 776Co. 2380Co. 2425 qui ne figure que la tête de l’oiseau, et Co. 5785. Malheureusement, aucune de ces œuvres n’est complète. 

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

Donation à l’État français en 1916.

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