Homme debout, dans l'attitude de la marche

Égypte > provenance inconnue 

Probablement 2e moitié du Moyen Empire

[voir chronologie]

Bois (figurine en acacia antique  ; socle en pin moderne) 

Statuette  : H. 61,1 cm  ; L. 12 cm  ; Pr. 6,5 cm 

Socle  : H. 4,7 cm  ; Lg. 23,3 cm  ; La. 12,5 cm 

Co. 3399 

 

Commentaire

Etat de conservation

L’objet est encore en bon état de conservation malgré plusieurs altérations du bois. La statue présente de larges fissures transversales et des fentes plus petites en divers endroits de la tête et du corps. L’état actuel de la surface de cette statuette est en partie dû à une ancienne attaque de pourriture cubique qui a entraîné des soulèvements du bois, notamment sur la tête et les bras. Par ailleurs, le pouce et l’annulaire de la main droite ont été arrachés, et l’élément cylindrique rapporté que serrait le poing droit a disparu. L’objet rapporté, tenu dans la main gauche, serait sectionné à ses deux extrémités.   La partie inférieure de la jambe gauche a été brisée et une longue cassure en diagonale reste visible au milieu du mollet. De par les multiples fissures et brisures des membres inférieurs, les pieds de la figurine ne suivent pas leur axe d’origine. 

Description

Cette statuette représente un homme nu, placé debout sur un socle. Ce socle n’est pas d’origine mais correspond à une présentation moderne. Jambe gauche avancée dans l’attitude de la marche, ses bras s’étendent le long du corps. Ses deux poings sont fermés, le poing gauche enserrant un objet cylindrique rapporté, aujourd’hui sectionné à ses deux extrémités. Il semble probable d’y voir un petit rouleau de tissu, accessoire classique de la statuaire, notamment àpartir de la IVe dynastie. L’élément que tenait le personnage dans son poing droit a complètement disparu. Sur son crâne, les traces d’une légère couche noire indiquent qu’une chevelure naturelle y était peinte. Le reste du corps ne présente aucune autre polychromie. 

 

L’objet est composé de plusieurs éléments. La partie principale est constituée de la tête, du torse et des jambes, délicatement sculptés dans un morceau de bois d’une longueur conséquente (environ 60 cm). Les deux bras et la partie antérieure des pieds sont rapportés et maintenues à l’aide d’un système de tenons et mortaises, caractéristique de ce type d’objet. Des chevilles de bois, ou des cavités rondes désormais vides, sont également visibles par paire sur le torse et la face avant des bras, sur la poitrine, de même que sur les côtés de la jambe gauche, aux alentours de la cassure. La statue, sculptée dans un morceau d’acacia antique (Acacia raddiana Savi), a été montée à une époque proche de son arrivée sur le marché de l’art sur un socle peint en noir, confectionné en pin sylvestre moderne (Pinus cf. sylvestris L.) (voir ASENSI AMORÓS 2018). 

 

Le personnage se caractérise par sa silhouette élancée et ses membres exagérément allongés. Ses larges épaules soutiennent des bras longilignes, qui s’arrêtent bien au-delà du milieu de la cuisse. Ses mains sont longues et fines ; les ongles sont soigneusement matérialisés. Le torse, bien que très mince, reproduit subtilement le modelé des pectoraux. Des tétons y étaient rapportés, dont il ne reste aujourd’hui que les cavités. La taille est fine, les hanches étroites. Les proportions des jambes reproduisent le même allongement que celles des bras. L’homme, jeune, est nu. Son entrejambe n’a pas été complètement dégagé, laissant imaginer que cette statuette était destinée à être recouverte par un vêtement en tissu. Cet artifice permettait peut-être aussi de renforcer l’ensemble, l’artisan ayant eu conscience que la dimension conséquente du morceau de bois fragilisait la statuette (la présence de trois petites chevilles de bois antiques, réparties de part et d’autre de la cassure de la jambe gauche, serait l’indice d’une consolidation antique). De nombreux détails attestent du soin qu’il a apporté à son travail : le sillon dorsal, le nombril, le fessier, mais aussi les pommettes et les ongles. Malheureusement, les multiples fractures du bois au niveau des chevilles, ainsi que le montage moderne sur un socle de présentation, les ont désaxées, modifiant ainsi l’esthétique de la position des pieds.  

S’ajoutant à l’élancement marqué du corps, les formes individualisées des traits du visage accordent à cette statue funéraire la vision du portrait d’un homme, à la jeunesse aboutie. Les yeux sont grands, étirés, les paupières méticuleusement recouvertes de fard. Les oreilles sont trop grandes par rapport au visage mais le profil du nez rétabli l’équilibre des traits. La bouche, aux lèvres pulpeuses et entrouvertes, est souriante.  

 

Les statuettes en bois sont relativement difficiles à dater du fait de l’existence d’archaïsmes volontaires de la part des artisans.  

L’attitude adoptée par le personnage (debout, les bras tombant le long du corps, les points serrant de petits rouleaux de tissus) est classique, utilisée tant à l’Ancien qu’au Moyen Empire (VANDIER 1958, p. 227). Elle peut se retrouver ponctuellement au Nouvel Empire.  

Malgré les détails assez originaux du visage, notamment la petite bouche et la rondeur des yeux, d’autres indices reprennent un style remontant à l’Ancien Empire. On peut par exemple citer les cheveux très courts, enveloppant le crâne du personnage comme une calotte (type W.2 selon HARVEY 2001, p. 655). Si ce type de chevelure naturelle existe dès l’Ancien Empire, comme l’atteste la statue fragmentaire de la tombe de Chédou datant du règne d’Ounas ou de Téti (fin de la Ve / début de la VIe dynastie ; HARVEY 2001, p. 564-565 : n° D3), il est très rare de la retrouver chez les statues de particuliers à partir du Nouvel Empire (VANDIER 1958, p. 31). Ainsi, la célèbre statue de Khâ, retrouvée dans la TT8 de Deir el-Médineh et conservée au musée égyptologique de Turin, fait montre de caractéristiques très différentes de la Co. 3399  : une large perruque évasée à mèches tombant jusqu’aux épaules, des proportions plus massives et une large jupe à devanteau (SCHIAPARELLI 2007-2008, p. 64-65 : fig. 32). 

 

La statue de Meryrê-Hachtef (fin de la VIe dynastie), prêtre lecteur et ami unique du roi, conservée à la glyptothèque Ny Carlsberg de Copenhague (Inv. N° ÆIN 1560 in JØRGENSEN 1996, p. 94-95 : N° 34), présente beaucoup de similitudes avec celle du musée Rodin. Trouvée dans sa tombe à Sedment, la statue le représente serrant dans son poing droit un petit rouleau de lin blanc, tout à fait semblable à l’accessoire conservé dans le poing gauche de la statue Co. 3399. Si sa tête est coiffée d’une perruque courte à petites boucles, il est également représenté entièrement nu, en position de marche et le système d’assemblage des avant-pieds aux chevilles est identique à celui du musée Rodin. Néanmoins, la statue de Copenhague est en meilleur état de conservation et possède son socle d’origine. De plus, la sophistication du rendu des modelés du corps de Méryrê-Hachtef est nettement supérieure à celle de la statue Rodin Co. 3399, bel exemple de la maîtrise des artisans de l’Ancien Empire. Autre figure en bois de grande taille (45 cm de haut), la statue du musée royal de Mariemont Inv. N° Ac.67/44 présente elle aussi un système d’assemblage identique à celle de Rodin. Elle est datée du début du Moyen Empire (Luc DELVAUX in DERRIKS, DELVAUX 2009, p. 54-55). 

 

Les statues funéraires nues, tout particulièrement spécifiques à la VIe dynastie et à la Première Période intermédiaire, se font plus rares au Moyen Empire. On peut ainsi comparer la statuette Co. 3399 avec deux statues de la VIe dynastie, celle du fonctionnaire Tjéti (British Museum Inv. N° 29594, https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA29594 ), ou encore avec la statue du dignitaire Hema, conservée au Musée de Baltimore (Inv. N° WAG.22211, voir HARVEY 2001, p. 594-595 : n° AS4). Les trois statues ont en commun leur nudité, mais surtout leurs membres exagérément longilignes et leurs yeux légèrement plus larges que le canon égyptien ne l’admet habituellement. Cette élongation caractéristique des membres et ces distances prises avec les canons de représentation égyptiens sont si caractéristiques des statues en bois de la VIe dynastie et de la période suivante qu’elles sont souvent désignées sous le nom de «  second style  » suite aux travaux d’Edna Russmann (RUSSMANN 1995), par contraste avec le style plus classique des statues en bois des dynasties précédentes (citons par exemple le fameux «  Cheikh el-Beled » de la Ve dynastie du Musée du Caire Inv. N° CG 34, caractérisé par un modelé hyperréaliste des membres et des détails anatomiques, voir http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=14910). Il est également plus fréquent que les statues de ce «  second style  » fassent montre de la même nudité infantile que la statuette Co. 3399. La nudité étant l’apanage des figurations d’enfants, il est parfois suggéré que représenter un défunt sous cette forme faisait référence à sa nouvelle naissance, vécue après la mort.  

 

Hors contexte de découverte, il est difficile de dater avec précision la statue Co. 3399, image du défunt déposée dans sa tombe. Cependant, le faisceau d’indices indiquerait une datation probable au début du Moyen Empire.

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acheté par l'antiquaire Joseph Altounian à Louxor en 1912 et expédié à Paris à l'antiquaire Joseph Brummer  le 1er avril 1912.

Acquis par Rodin auprès de Joseph Brummer le 3 juin 1912.

 

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 267, "Grande statue en bois d'un personnage entièrement nu. Il est debout, les bras collés au corps, dans les attributs de la marche, la jambe gauche en avant. Crâne rasé, la tête est légèrement penchée à droite. Masque trapu et ramassé, oreilles très grandes. Style grêle et efflanqué des 11e-12e dynasties. Hauteur (sans le socle moderne) 61 cent. Les pieds (le pied gauche au moins) sont refaits. 1000 francs."

Donation Rodin à l’État français 1916.

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