Reliquaire

Tête de Thot sous sa forme d'Ibis

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVIe– XXXdynastie > 672 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 7,5 cm ; L. : 1,7 cm ; P. : 8 cm 

Co. 2425

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre a un état de conservation correct. 

Le métal est oxydé et a pris une teinte uniformément vert foncé. La pointe du bec manque. Quelques petites concrétions sont visibles autour du tenon du cou. Les yeux étaient originellement incrustés. Cette incrustation est aujourd’hui manquante.

Description

L’œuvre figure une tête d’ibis sur laquelle un long tenon s’échappe de la base du cou. Ce tenon permettait d’insérer ce fragment dans un corps d’ibis en bronze ou en bois. La tête aplatie au niveau du front est prolongée d’un long bec où sont visibles de nombreux sillons et arêtes rendant avec réalisme les détails anatomiques. En effet, deux fines lignes continues entourent l’arête supérieure du bec. Un autre sillon, plus profond et plus long que les précédents et visible uniquement de profil, souligne l’arcade sourcilière en couronnant les yeux. Du globe oculaire, seules subsistent les deux cavités rondes, dans lesquelles était placée une incrustation de pâte de verre ou d’une pierre figurant la pupille. Derrière les yeux, deux petites cavités circulaires matérialisent les oreilles. Deux lignes continues, relativement fines, entourent l’arête supérieure du bec. Un sillon marque l’ouverture du bec. Le dessous de celui-ci est concave et met en relief les mandibules. Le cou présente une courbure et une épaisseur naturelles. 

 

Il existait deux sortes d’ibis en Égypte, l’« ibis blanc » (ibis aethiopica sive religiosa) et l’« ibis noir » (ibis falcinellus), auxquels Hérodote consacre son chapitre 76 du livre II de son Enquête (voir Hérodote, Histoires, Livre II : Euterpe, in coll. Les Belles Lettres). Le premier affiche un plumage entièrement blanc et un bec rosé, alors que le second a le cou, la tête, le bec, les pattes et la queue noirs. Il n’est pas possible de déterminer l’espèce figurée par le Co. 2425. 

L’ibis était considéré comme un ami des hommes car il détruisait les chenilles et les sauterelles qui menaçaient les récoltent, mais aussi d’après Hérodote, les serpents ailés venus d’Arabie et les scorpions. Il est étroitement et uniquement associé au dieu Thot, dieu lunaire, maître des « paroles divines » et seigneur d’Hermopolis. Thot, forme divinisée de Djéhouty identifié à Hermès par les Grecs, est le plus important des dieux lunaires. Il possède une personnalité complexe comprenant de nombreuses facettes. Il est à la fois la personnification de la Lune, mais aussi son protecteur, son gardien et parfois son adversaire. L’association à l’ibis se fait ici par la forme de son bec qui évoque le croissant de Lune, ainsi que par son plumage bicolore. Dans le Livre de la Vache céleste, Rê en fait son vizir et son substitut en déclarant : « Tu seras à ma place, mon remplaçant. On dira de toi : Thot, le remplaçant de Rê ». En tant que gardien et protecteur de la Lune, elle-même assimilée à l’œil d’Horus, Thot est « Celui-qui-compte-les-parties-[de-l’œil] » dans ses phases croissante et décroissante. Il possède ainsi des dons de calculateur et de mesureur. Les égyptiens ayant avancé que le pas de l’ibis faisait exactement une coudée, il est alors utilisé comme étalon type et Thot devient « maître de la coudée ». On retrouve souvent des statuettes en bronze d’ibis couchés pour que les pattes représentent le signe du bras qui était utilisé pour écrire une coudée. Les collections du musée Rodin conservent un exemple l’illustrant, Co. 5977.

De par l’observation rigoureuse et minutieuse des phases de la Lune, Thot devient le « savant » par excellence qui fait de lui le maître des écrits et du calame et le patron des scribes. Il établit le cadastre général de l’Égypte, inscrit le nom des rois sur l’arbre iched, légitimant leur accession au trône, et enregistre les résultats de la pesée du cœur. Enfin, il est juge et arbitre entre les dieux, notamment en prenant le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose Seth et Horus. 

 

Les innombrables représentations de Thot se limitent à trois types différents. Le plus souvent, le dieu est ibiocéphale. Il peut être également zoomorphe en prenant l’aspect d’un ibis ou d’un babouin assis, second animal sacré du dieu. Il est rare de le rencontrer entièrement anthropomorphe, ou cynocéphale bien que quelques exemples peuvent être cités, notamment dans la sixième heure du Livre de l’Amdouat, face à Nectanébo Ier dans les catacombes de Touna el-Gebel, ou sur la façade du tombeau de Pétosiris sur ce même site. 

Touna el-Gebel est connu pour être le centre culturel de Thot où la cosmogonie hermopolitaine s’est mise en place. On y trouve un ibiotapheion, immense nécropole animale où ibis et babouins y étaient momifiés et inhumés dans des jarres en terre cuite ou dans des cercueils en bois ou en calcaire. L’œuvre Co. 2425 représentant une figure de reliquaire, il est possible qu’elle provienne de ce site. 

 

Les reliquaires de l’Antiquité égyptienne sont des objets archéologiques assez bien connus, les cimetières d’animaux sacrés étant nombreux sur le territoire égyptien. Ils comprenaient deux types d’animaux, les « uniques » et les « multiples » (cf. CHARRON Alain (dir.), La mort n’est pas une fin, Pratiques funéraires en Égypte d’Alexandre à Cléopâtre, Catalogue d’exposition 28 septembre 2002 - 5 janvier 2003, Musée de l’Arles antique, Arles, 2002, p. 176). La première catégorie regroupe des animaux choisis par les prêtres, pour représenter de son vivant une divinité particulière. Les « uniques » les plus connus sont les taureaux Mnévis et Apis, dont la plus ancienne attestation d’inhumation remonte au règne d’Amenhotep III. La tête d’ibis Co. 2425 correspondrait au reliquaire d’un « multiple ». Ces « multiples »n’étaient pas sélectionnés pour leur caractère sacré mais c’est par les rites de leur mise à mort, leur momification et les prières récitées à cet instant que leur était conféréun caractère divin. Les animaux les plus représentés sont les serpents, les chats, les chiens, les ibis et les crocodiles. Ils n’avaient pas de pouvoir à part entière, c’était le dieu qu’ils représentaient à leur mort qui était encensé. Ils devenaient alors un ba de la divinité, acquéraient un rôle de médiateur et devenaient capables de transmettre les doléances de la population. Les reliquaires étaient créés sur demande des dévots et les prêtres se chargeaient d’y insérer l’animal entièrement momifié, soit une partie de sa momie, voire même un paquetage imitant la forme de l’animal. Au fil du temps, les commandes devenant de plus en plus nombreuses, l’organisation de l’élevage de ces animaux, objets de dévotion après leur mort, monta en puissance et le choix des espèces se structura. Il est à noter que c’est grâce à l’évolution des techniques de momification qu’il devint progressivement possible de momifier des animaux de grandes tailles, l’une des difficultés à vaincre ayant été la dessiccation de leurs humeurs.

 

Les figures d’ibis sont des objets relativement nombreux. Les simples têtes d’ibis à insérer dans un corps sont en revanche moins représentées. 

Metropolitan Museum of Art, New York : 53.185a et 90.6.59.

Penn Museum de Philadelphie : E12550 et E12577.

Brooklyn Museum : 37.385Eb, 37.385Ea, 08.480.71, 16.580.156 et 39.94.

Œuvres associées

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs statuettes d’ibis en bronze, Co. 211Co. 776Co. 800Co. 802Co. 2380 et Co. 5785. L’œuvre Co. 776 se compose de deux parties distinctes aujourd’hui collées, le corps et la tête. 

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

 

Donation à l’État français en 1916.

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