Homme assis sur un siège cubique

Égypte > provenance inconnue

L’âge classique > Ancien Empire (2700-2200 av. J.-C.) > Ve-VIe dynastie

[voir chronologie]

Calcaire

H. 40,80 CM : L. 18,20 CM : P. 23,10 CM

CO. 1118

Commentaire

Etat de conservation

L’objet est très fragmentaire mais ce qui est conservé est en assez bon état.

Aujourd’hui, tête et cou sont manquants. Une partie de l’avant-bras droit et la main droite ont disparu ainsi que, du côté gauche, toute l’épaule, le bras et une partie de l’avant-bras au-dessous du coude. Les deux jambes au-dessous des genoux, une partie du siège et le socle ont également disparu.

Il y a un grand éclat sur la partie gauche du torse ainsi que sur l’épaule droite, de nombreux éclats de tailles variables sur les arêtes du siège et de petits éclats sur la main gauche. Une longue fissure part du haut du pagne et s’étend jusqu’au genou gauche. Une abrasion moderne marque tout le côté de la jambe gauche.

 

La statue est recouverte d’une patine adoptant des teintes allant de beige à noirâtre. Cette patine ne permet pas de distinguer d’éventuelles traces de polychromie. Le nettoyage de la statue en 2013 a révélé une fine couche noire répartie sous une mince épaisseur de pierre, visible dans les éclats. Cet état particulier, qui semble attribuable à une altération de la pierre, est encore non compris à ce jour.

Description

Le personnage est assis sur un siège cubique, les bras le long du torse, les avant-bras placés sur les cuisses, la main gauche – seule subsistante – posée à plat et les jambes jointes. Malgré l’arrachement, nous pouvons restituer l’amorce du cou, qui démarrait assez bas sur le torse. Les épaules étaient à l’origine larges et massives. Les clavicules, dont seule la droite est conservée, sont marquées par un très léger relief. La taille est cintrée et l’espace entre les bras et le torse n’est pas complètement évidé. La musculature est peu prononcée mais néanmoins présente : le pectoral droit est marqué par un relief doux ; un renflement au niveau du nombril et une très légère dépression au-dessus indiquent sans doute les abdominaux du personnage. Le nombril est remarquable : il est renfoncé dans un creux par rapport à la surface du ventre mais est presque imperceptiblement bombé et circonscrit par une incision parfaitement circulaire. Cette façon de traiter le nombril est tout à fait atypique. L’University Museum de Philadelphie possède une statue datée de la Ve dynastie dont le nombril est traité de façon proche mais pas totalement identique. Sur cette statue, le personnage – debout, jambe gauche en avant, les bras le long du corps – porte également un pagne similaire à celui de notre statue (University Museum de Philadelphie E 16160 ; SMITH, 1946, p. 45 et 142 ;WILDUNG, 1997, p. 46-47).

L’homme porte un pagne court qui lui arrive au-dessus des genoux, caractéristique de l’Ancien Empire (voir, à ce sujet, l’ouvrage de VOGELSANG-EASTWOOD, 1993, p. 53-64). Le pan gauche, croisé sur le pan droit, remonte vers l’intérieur de la cuisse et se replie à l’extrémité, formant un large pli flottant. Ce pagne est retenu par une ceinture, figurée par un léger relief et des incisions, dont la boucle, bien arrondie avec une petite incision en son centre, dépasse à gauche du nombril. On retrouve ce type de pagne à pan replié sur plusieurs statues de l’Ancien Empire – debout aussi bien qu’assises – de même que la boucle ronde exécutée avec plus ou moins de détails, par exemple sur les statues du musée du Caire CG 18 (BORCHARDT, 1911, p. 19 et pl. 5) et CG 202 (BORCHARDT, 1911, p. 137 et pl. 42). Sur la statue de Philadelphie déjà mentionnée (University Museum de Philadelphie E 16160), ainsi que sur une statue conservée au Metropolitan Museum of Art de New York (inv. 62.200 ; WILDUNG, 1997, p. 46-47), il n’y a pas d’indication de la ceinture, seulement de sa boucle. Ce type de pagne à pan rabattu et boucle apparente semble disparaître de la statuaire après la VIe dynastie.

 

L’avant-bras et la main gauches, posés à plat sur la cuisse, sont traités en deux volumes bien distincts, le poignet étant signifié par une dépression. La main gauche adopte une forme que l’on pourrait qualifier de « cordiforme » et les doigts, à l’exception du pouce, sont plutôt courts. Les ongles sont indiqués par des incisions.

Le bras droit est placé le long du torse. La vue de profil montre un biceps subtilement indiqué par un très léger renflement. L’avant-bras droit repose sur la cuisse du personnage suivant une position identique au gauche, mais a en quasi-totalité disparu. La portion subsistante au-dessous du coude nous permet néanmoins d’observer une musculature bien marquée, en contraste avec le bras. D’après l’empreinte subsistante, on peut restituer la main droite placée sur la cuisse. En revanche, il est difficile de savoir si elle était posée à plat, comme la gauche, ou si le poing était fermé, verticalement ou horizontalement, tenant peut-être un boudin ou une pièce de tissu, deux attributs fréquents pour les statues masculines de l’Ancien Empire.

L’espace entre les deux jambes est partiellement évidé, il n’atteint pas le niveau du siège. Les genoux sont très anguleux ; les tibias sont également marqués par une arête bien prononcée. Ce qui subsiste des jambes annonce des mollets galbés et musculeux. Sur les côtés, l’espace entre les mollets et le siège n’est pas totalement évidé, laissant apparaitre leur profil en fort relief.

 

Le dos de la statue a également été travaillé, il ne comporte ni plaque ni pilier dorsal. Son modelé est doux, en contraste avec le traitement musculeux voire anguleux de certaines parties du corps et, si l’on observe le personnage depuis son profil droit, nous avons l’impression qu’il est légèrement voûté. Le sculpteur a signalé la colonne vertébrale au moyen d’une légère dépression. Il a également rendu la taille cintrée que l’on retrouve de face mais avec un bourrelet de chair au-dessus de la ceinture du pagne. Suivant les conventions de l’art égyptien, cette corpulence du personnage indique un homme puissant ayant réussi socialement. Elle peut être bien plus accentuée sur d’autres statues, la plus spectaculaire étant celle du vizir Hémiounou, datée du règne de Khéops (Roemer- und Pelizaeus-Museum d’Hildesheim, inv. 1962 ; L’art égyptien au temps des pyramides, 1999, p. 196-197, n°47).

 

Le siège cubique est simple, il ne porte aujourd'hui aucun décor ni aucune inscription. À gauche des jambes, dans l’arrachement, on peut encore voir l’amorce du retour du socle sur lequel les pieds du personnage devaient reposer à plat et nus. Le siège n’est pas d’équerre : les arêtes ne se rejoignent pas à angle droit, ce qui crée un déséquilibre auquel le socle moderne ne permet pas de remédier totalement.

 

Malgré son état actuel, on devine que cette statue était de très belle facture. Elle provenait certainement d’un des meilleurs ateliers provinciaux, voire des ateliers royaux de la région memphite de la deuxième moitié de l’Ancien Empire. En dépit de l’absence de traces de polychromie, on peut supposer qu’elle était peinte à l’origine, ou destinée à l’être, notamment pour rendre les chairs ocre rouge et pour marquer les détails du visage comme les sourcils et les yeux, la coiffure, voire une éventuelle moustache, comme sur la statue du majordome Kéki conservée au musée du Louvre (A 41 ; ZIEGLER, 1997, p. 108-111, n°30)

Ce type statuaire – homme assis sur un siège cubique, la main gauche posée à plat sur la cuisse gauche, la main droite fermée verticalement, voire horizontalement (moins fréquent), sur la cuisse droite – est le type classique à l’Ancien Empire à partir de la IVe dynastie. Le poing droit serre régulièrement une pièce d’étoffe ou un boudin, élément qui indique le statut élevé de l’individu. Dans la statuaire, le boudin est utilisé pour exprimer le fait de tenir un objet, indication que l’individu a dans la main l’insigne de sa fonction et de sa puissance, notamment la canne médou et le sceptre sékhem ou khérep, comme sur la statue du dignitaire Sépa conservée au musée du Louvre (A 36 ; ZIEGLER, 1997, p. 141-144, n°39). Si ces attributs sont bel et bien sculptés dans un premier temps, ils disparaissent de la statuaire en pierre à la IVe dynastie, remplacés par les boudins. Ceux-ci sont réinterprétés dès la Ve dynastie : ils adoptent parfois la même forme que le lin, matière coûteuse donc signe de richesse.

 

Il ne subsiste aucune trace d’inscription sur la statue, mais il n'est pas sûr qu'elle l'ait été. Á l'Ancien Empire, nombre de statues sont anépigraphes (sans nom ni titre) parce que toutes placées dans des tombes.

 

La fonction des statues et statuettes privées de l’Ancien Empire nous est bien connue : elles occupent une fonction rituelle. Si elles ont atteint le statut d’œuvres d’art en prenant place dans les collections muséales, elles n’étaient, à l’origine, pas destinées à être contemplées mais étaient placées dans les tombes. En effet, à l’Ancien Empire, les statues de particuliers proviennent exclusivement de contextes funéraires : elles sont placées dans un « serdab », petite pièce aveugle totalement inaccessible aux vivants après l’enterrement (une fente pouvait donner sur la paroi sud de la chapelle funéraire), mais également dans la chapelle de culte elle-même ou encore le portique d’entrée pour les tombes dont la superstructure est plus complexe (c’est le cas du prince Kaouâb ; VANDIER, 1958, p. 45). Elles constituent un élément du mobilier funéraire mais portent rarement le nom et le titre du défunt.

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 282, "Statue fragmentaire d'un personnage assis les mains posées sur les genoux. Il est vêtu de la shenti. Manquent la tête, l'épaule et le haut du bras gauche, une partie de l'avant-bras droit et la main droite, tout le bas des deux jambes et les deux pieds et la partie inférieure du siège. Calcaire. Haut. 40 cent. Ancien empire. Estimée deux cents francs."

Donation Rodin à l’État français 1916

Commentaire historique

La statue fut probablement achetée auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 statuette person. assis tête manque calcaire 250 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la statue Co.1118 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.


 

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

La statue a été photographiée dans les années 1950-1960 (voir image historique ci-contre, archives musée Rodin). Elle est montée sur son socle moderne en marbre noir et exposée sur un socle plus grand, sans doute en pierre. Ce socle en marbre noir a été créé par la maison André pour l’exposition Rodin collectionneur qui s’est tenue dans la chapelle de l’Hôtel Biron en 1967-1968.

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