Relief funéraire en creux

Rituel des kiosques à offrandes au bénéfice de Pay, directeur du harem royal

Égypte > Saqqâra, tombe de Pay

Nouvel Empire > fin de la XVIIIe dynastie

[VOIR CHRONOLOGIE]

Calcaire

H. 35,5 CM ; l. 88 CM ; P. 5,5 CM

Co. 1302

Comment

State of preservation

L’état de conservation est moyen. La pierre est altérée, elle présente des soulèvements. La surface est marquée par des épaufrures et des griffures éparses. Le fragment est composé de deux morceaux raccordés. Des traces minimes d’ocre rouge sont observées sur le côté gauche, mais rien ne permet de déterminer s’il s’agit de restes de polychromie ancienne ou d’une intervention antérieure.

 

La tranche droite présente des traces de sciage moderne, les autres tranches correspondant à des cassures portant des traces d’usure. Sur les arêtes du bloc, des éclats importants mutilent le décor. Les extrémités inférieure et supérieure du fragment correspondent au bas et au haut du registre (la partie supérieure en ayant conservé la ligne d’encadrement), tandis que les côtés gauche et droit coupent le décor. Surmontant la scène, la plante des pieds d’un personnage (représenté en plus grande échelle) est conservée, à replacer dans un autre registre.

 

En raison des éclats sur les bords, le texte hiéroglyphique qui surmonte chacune des scènes est incomplet.

Description

 Le relief représente d’un rituel funéraire, destiné au scribe royal et directeur du harem royal Pay, partiellement conservée. Le décor, les personnages et les hiéroglyphes sont gravés en creux. Quatre scènes se déroulant devant quatre kiosques sont conservées, placées successivement de droite à gauche.

Trois hommes se tiennent debout, chacun devant un kiosque contenant un empilement d’offrandes. Tournés vers la droite et le buste légèrement penché en avant, chaque officiant déverse des eaux lustrales sur une offrande choisie, placée devant lui sur un autel (deux bouquets montés à droite et à gauche de la scène conservée, un canard sacrifié au centre). Le décor nous met en présence d’un rituel funéraire consistant à purifier les offrandes en répandant un liquide, probablement de l’eau, contenue ici dans un vase allongé que l’officiant tient entre ses deux mains. Les inscriptions hiéroglyphiques, placées au-dessus de chaque scène, indiquent que le rituel est effectué au bénéfice du même homme, un haut fonctionnaire dénommé Pay, « scribe royal et directeur du harem royal ». L’officiant est vêtu de manière semblable, un long pagne plissé remontant sur ses hanches, un grand pan triangulaire se dégageant à l’avant. Il ne porte aucun bijou et une perruque mi-longue à mèches masque ses oreilles. De légères différences se remarquent dans l’exécution des traits des visages, les plis des pagnes et les mèches des perruques des trois hommes.

 

Du premier kiosque, situé à l’extrême droite du relief, seule la paroi du fond est conservée. Suit une scène de libation, devant un second kiosque à offrandes. Pointant un vase vers le bas, un officiant déverse les eaux lustrales au pied d’un petit bouquet floral, placé sur un autel. Le pavillon devant lequel il effectue cette libation est sculpté derrière lui. Il semble construit en matériaux légers (parois et plafond en bois, haute palme à feuilles lancéolées obturant l’entrée). Architecture dite « éphémère », chaque kiosque est réalisé en matériaux organiques, l’utilisation de la pierre dite « d’éternité » étant théoriquement réservée aux constructions officielles ou religieuses. Son plafond va diminuant vers le fond. Le kiosque étant ouvert sur l’avant, la longue palme fait office de fermeture, sa tige dépassant la hauteur du pavillon. Ce système permettait d’assurer la ventilation de ce kiosque et la fraicheur de son contenu.

Diverses offrandes sont amoncelées à l’intérieur : des empilements d’aliments (pains ronds, pièces de viandes, figues) placés à l’intérieur de corbeilles ou dans des coupes disposées sur des supports ajourés, surmontés d’une fleur de lotus à droite et de deux corbeilles cylindriques à gauche. Au-dessus pendent une « grappe de canards » (placés tête en bas et suspendus par une cordelette) et deux plantes, peut-être des dattes. Selon les conventions de représentations égyptiennes, toutes ces offrandes, qui semblent ici empilées, sont en réalité déposées les unes à côtés des autres. Il en va de même pour les compositions florales des deux bouquets dits « montés ».

 

Une seconde scène est conservée, au centre du relief. L’officiant, placé devant un troisième kiosque, tient son vase vers le haut et le soutien à deux mains. Pour être bien visibles, elles sont astucieusement posées sur et sous le vase, la main droite correspondant par ailleurs à une main gauche suivant un procédé habituel à l’Égypte ancienne pour éviter de masquer le pouce. Un filet d’eau s’échappe du vase et tombe jusqu’à terre, baignant au passage le canard sacrifié placé juste devant lui sur une haute table d’offrandes cylindrique. Le troisième kiosque est semblable à celui décrit précédemment, excepté le fait que les grappes de canards et de dattes sont disposées à l’inverse (canards à droite et dattes à gauche). Les offrandes occupent aussi tout l’espace du kiosque, fermé par une même tige de palmier.

 

Une troisième scène, incomplète, termine le décor du relief Musée Rodin Co. 1302. L’officiant est de nouveau représenté devant un kiosque, versant des eaux lustrales au pied d’un bouquet monté très élevé, sa hauteur dépassant même celle du kiosque précédent. Derrière l’officiant, on aperçoit à l’extrémité gauche du relief la longue palme qui marque l’entrée du quatrième kiosque à offrandes. À l’intérieur de ce dernier figurent encore trois corbeilles contenant des offrandes, au-dessus desquelles une offrande végétale de fleurs et de boutons de lotus a été suspendue au plafond.

 

La disposition des offrandes et le geste de l’officiant, qui diffèrent d’une scène à l’autre, animent le décor. On constate, par exemple, une alternance de la position du vase à libation, pourtant de même type, élevé quand il s’agit du canard déposé sur une table d’offrande et abaissé pour les compositions florales.

 

Surmontant la scène, au-dessus de la ligne d’encadrement des registres, la plante des pieds d’un personnage tourné vers la gauche est conservée. Représenté suivant une échelle nettement supérieure aux trois hommes du registre inférieur, il semble probable d’y voir l’image du défunt ou de l’un des membres de sa famille, appartenant à une autre scène.

 

Le personnage dont il est question dans l’inscription, le « scribe royal et directeur du harem royal, Pay », est bien connu grâce à sa tombe située à Saqqâra Nord, à proximité du complexe funéraire d’Ounas et du monastère Saint-Jérémie (PM III, p. 655 et pl. LXII pour la localisation). Ce monument funéraire est placé juste à côté du tombeau du général Horemheb avant son accession au trône. Découverte pour la première fois au XIXe siècle, la tombe a été fouillée et documentée par une expédition conjointe anglo-hollandaise (publication : RAVEN 2005). La construction de la tombe a commencé sous le règne de Toutânkhamon, puis a été modifiée par l’un des fils de Pay, appelé Raïa, qui occupa le même haut poste administratif que son père (chef du harem royal) et fit une glorieuse carrière militaire jusqu’au début de la XIXe dynastie. Cette tombe a servi de sépulture familiale jusqu’à la XIXe dynastie, puis a été réutilisée pour des inhumations aux époques saïtes et perses.

 

Le fragment de décor conservé sur le bloc Musée Rodin Co. 1302 provient selon toute vraisemblance de cette tombe de Saqqâra. D’après M. Raven, un fragment figurant quatre canards au bras d’un porteur d’offrandes, trouvé près du mur sud de la cour intérieure (R94-72), pourrait provenir de la même scène (RAVEN 2005, p. 29). D’autres éléments de la tombe de Pay sont conservés dans des musées hors d’Égypte : citons en particulier un fragment de jambage et un bloc décoré avec formule d’offrandes au Musée archéologique de Florence (respectivement Inv. N° 1605 et 1606) et un pyramidion en calcaire aux quatre faces décorées au Musée du Louvre à Paris (D 21 = N 362, cf. RAMMANT-PEETERS 1983, p. 59-60 doc. 55).

 

Le sujet prégnant du décor gravé sur le relief Co. 1302, le rituel des kiosques à offrandes, est un thème fréquent des tombes memphites de cette période (BERLANDINI 1977, p. 30). La construction de la tombe de Pay a certainement eu lieu en même temps que celles d’autres personnages officiels importants du règne de Toutânkhamon : Méryneith, Iniouia, Horemheb, Ramosê et Maya (RAVEN 2005, p. 9), et son décor peut leur être comparé. Par exemple, dans la tombe du directeur du trésor de Toutânkhamon, Maya, une scène (autrefois au musée de Berlin) présente également quatre kiosques à offrandes. Devant chaque kiosque figure un homme dans une attitude particulière : tandis que le premier verse un liquide sur le sol, le deuxième accroche un canard au toit, le troisième se tient la tête et le dernier saisit une volaille posée sur un support cylindrique. La scène du registre gravé juste en-dessous a pour thème la procession de statues (VAN DIJK 1983, p. 180 fig. 30, d’après Lepsius Denkmäler, LD III, pl. 242a-b).

Les recherches de J. Van Dijk (VAN DIJK 1983, p. 180-1) l’ont amené à considérer le décor du relief Co. 1302 comme une scène incomplète ou abrégée d’un rituel funéraire important du Nouvel Empire, celui de « briser les vases rouges ». L’action de déverser le contenu des jarres sur le sol serait alors à voir comme une phase préparatoire de ce rituel, attesté sur le site de Saqqâra dès la VIe dynastie devant les complexes funéraires des reines.

 

Sur un autre relief de la collection du musée Rodin, Co. 913, un fragment de scène d’offrandes alimentaires, datée de la XVIIIe dynastie, est également gravé. La « grappe de canards » y est semblable à celles sculptés sur le relief Co. 1302 (trois volailles attachées par la queue et placées tête en bas).

Inscription

À quatre reprises, une inscription hiéroglyphique est placée au-dessus de la scène. Le texte, incisé en creux sur une ligne, mentionne les titres et le nom du personnage à qui est destiné le rituel funéraire. Il se lit systématiquement de droite à gauche, orientation suivant celle de la scène de libation.

Historic

Acquis par Rodin enre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Biron, 135 Bas-relief fragmentaire en calcaire, au nom de [...]. Forme la suite du fragment inventorié sous le n° 104 (…)  33 x 26. Estimé quatre cent francs.

BOREUX 1913 : Biron, 104 Id., en calcaire compacte. Deux personnages debout tourné vers la droite en train de répandre l’eau d’un vase […] ; entre eux deux un édicule rempli d’offrandes, de vases sur des sellettes, et  la moitié d’un autre édicule semblable se voit derrière le personnage de gauche. L’inscription qui court au dessus de la scène donne le nom de […] 63 x 34 (le fragment doit être réuni au fragment inventorié sous le numéro 235). Estimé huit cent francs.

Donation Rodin à l’État français 1916.

 

Historic comment

Les deux reliefs étaient exposées à l'hôtel Biron en 1913, dans une préfiguration du futur musée. Mais à cette époque, comme décrit sur l'inventaire de Charles Boreux, ils étaient séparés en deux fragments inventoriés sous les numéros 104, pour la partie gauche, et 235, pour la partie droite. Ils n'étaient pas exposés ensemble mais probablement dans deux salles différentes. Charles Boreux, dans son inventaire, précise toutefois au n° 104, que le "fragment doit être réuni au fragment inventorié sous le numéro 235". Le fragment de gauche (104) était visible dans une vitrine murale consacrée en partie à l'Egypte, au premier étage de l'hôtel Biron (voir photographie, musée Rodin, Ph.13620).

C'est ce même fragment qui fut  choisi en 1933 pour être déposé au musée du Louvre qui lui attribua le numéro E.15562. En 1967, le relief retourna au musée Rodin, en prévision de l'exposition Rodin collectionneur. Il fut alors restauré par la maison André, les deux morceaux nettoyés, assemblés et montés sur une cornière métallique, pour être être accroché au mur dans la chapelle de l'hôtel Biron, où il resta jusqu'à la fin des années 1990. C'est alors que le relief complet fut inventorié sous le seul numéro Co. 1302.

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