Taureau sacré

Apis ?

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

BASSE-ÉPOQUE > XXVIe– XXXdynastie > 672-332 AVANT J.-C.

[VOIR CHRONOLOGIE]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 5,3 cm ; L. : 1,8 cm ; Pr. : 6,1 cm 

Co. 2395

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre est en mauvais état de conservation. Bien que la statuette soit complète (à l’exception de la pointe de la corne gauche), le métal est très corrodé, particulièrement sous le ventre et entre les pattes arrière où l’on voit des concrétions. L’espace qui séparait autrefois les oreilles et les cornes a été comblé par l’oxydation du métal. 

Description

L’œuvre Co. 2395 figure un taureau. Contrairement à d’autres statuettes conservées au musée Rodin, notamment Co. 798Co. 1234Co. 2369 et Co. 5629, ici l'animal se tient droit sur ses pattes et n’est donc pas dans la position de la marche apparente, même si les pattes gauches sont très légèrement en avant.

Les proportions de l’animal sont massives, en partie à cause de la corrosion, mais également à cause d’un modelé très sommaire : les pattes, lourdes et courtes, ne présentent aucun détail anatomique, à l’exception de la légère flexion du genou des pattes arrière. Le cou large et épais est incisé de plusieurs lignes verticales, figurant les plis du cou plus finement représentés sur les statuettes Co. 798 et Co. 807 des collections du musée Rodin. Le dos, plat et horizontal, est tout à fait parallèle au ventre lui aussi dénué de détails de modelé. De la croupe émerge la queue dont le toupillon est rattaché au jarret arrière gauche (et non droit comme sur les autres statuettes des collections Rodin), par souci de solidité (pour le vocabulaire anatomique des bovidés, voir). Notons enfin que le dessous des pattes est très plat et ne présente aucun tenon : si l’œuvre était placée sur un socle, elle n’a pu y être fixée qu’à l’aide d’un adhésif.

 

La face se caractérise par la même absence générale de modelé, avec son museau très rectangulaire, mais présente néanmoins quelques détails incisés, dont les narines, les yeux et l’ouverture de la gueule. Les oreilles, pointues, sont également creusées en leur centre, étaient originellement légèrement détachées des courtes cornes qui encadrent un petit disque solaire.

 

Comme sur de très nombreuses statuettes en bronze de taureaux sacrés, un élément décoratif de forme triangulaire est visible sur la tête de l’animal (ROEDER 1956, §411b-f, par exemple BM EA58963 ou BM EA1898,02.25.1). Cette tache blanche constitue l’un des signes distinctifs qui permet aux prêtres de désigner la nouvelle incarnation d’Apis au sein de tout le cheptel égyptien, à la mort de son prédécesseur. Hérodote a livré une liste de ces critères, le décrivant comme « un taureau né d’une vache qui ne peut plus par la suite avoir d’autre veau. Les Egyptiens disent qu’un éclair descend du ciel sur la bête qui, ainsi fécondée, met au monde un Apis. Le taureau qui reçoit le nom d’Apis présent les signes suivants : il est noir, avec un triangle blanc sur le front, une marque en forme d’aigle sur le dos, les poils de la queue doubles et une marque en forme de scarabée sous la langue » (L’Enquête, III, 28, trad. A. Barguet). Cependant, les très nombreuses stèles découvertes au Sérapeum de Saqqara le figurent plutôt avec une robe blanche tachetée de noir, ce qui est peut-être à mettre sur le compte de la fiabilité parfois fluctuante des observations d’Hérodote sur l’Égypte de son temps. Par ailleurs, si la figuration d’Apis sous la forme d’un taureau marchant est de loin la plus répandue, on trouve aussi des représentations anthropozoomorphes, sous la forme d’un homme à tête de taureau tenant le sceptre ouas et la croix ankh, ou encore d’une momie humaine à tête de boviné. C’est à partir de la Basse Époque que de nouveaux attributs sont intégrés à l’iconographie du taureau, notamment un scarabée ailé sur son garrot, un vautour aux ailes déployées sur sa croupe et un « tapis » frangé sur son dos.

Le culte du taureau Apis serait attesté dès le second souverain de l’histoire de l’Égypte, le roi Hor-Aha de la Ière dynastie, même si cet événement est en réalité rapporté par des annales bien postérieures, rédigées seulement à la Ve dynastie. Quoi qu’il en soit, sa très grande longévité a permis à ce culte de s’enrichir de nombreuses associations avec d’autres dieux. Particulièrement vénéré à Memphis, il est naturellement lié à Ptah, dieu local majeur, dont il devient même le « héraut » à partir du règne d’Amenhotep III de la XVIIIe dynastie. Du fait de l’existence d’un autre boviné sacré, le taureau Mnévis d’Héliopolis affilié au culte de Rê, il est aussi figuré avec un disque solaire entre les cornes. Les deux animaux partagent donc une iconographie similaire et il est difficile de les distinguer en l’absence d’inscription. Enfin, Apis obtient également des prérogatives funéraires en se fondant avec Osiris : cette nouvelle entité syncrétique Osirapis deviendra, à l’époque des Ptolémée et avec son assimilation à Hadès, le dieu Sérapis particulièrement vénéré dans le monde hellénistique.

 

La statuette est de manufacture assez rudimentaire, témoignant d’un moulage à la chaine. En effet, à partir de l’époque tardive, les petits bronzes sont diffusés dans toute la méditerranée depuis les principaux centres religieux égyptiens. Les inscriptions hiéroglyphiques présentes sur quelques unes des statuettes de taureau signalent que différentes divinités pouvaient être figurées ainsi, tel le dieu Apis – ou certaines de ses formes comme Horus-Apis ou Osiris-Apis –, mais aussi le taureau Mnevis ou Osiris-Mnevis (AUBERT, AUBERT 2001, p. 287). Dès lors, en l’absence d’inscription, il demeure difficile d’associer une divinité à cet objet.
Le taureau est un animal vénéré en Égypte depuis le prédynastique, et symbolise la force divine et la fécondité. Pour ces raisons, il fut rapidement associé à la crue du Nil et à Osiris. Considérés comme les apparences de certaines divinités, plusieurs taureaux sacrés sont connus dans le pays, comme le taureau blanc de Min, le Mnevis de Rê à Héliopolis, mais aussi Hormerty en Chedenou, le grand Kemour noir à Athribis, et Bouchis à Hermopolis et Médamoud. Le plus connu demeure sans nul doute le taureau Apis, représentant le dieu Ptah, et animal régulièrement représenté dans l’art égyptien des époques tardives.

 

Alain Charron distingue deux formes majeures du culte animal en Égypte et particulièrement après le Nouvel Empire : à l’inverse des milliers d’animaux dits sacrés mais élevés uniquement dans le but d’être momifiés et de servir d’ex-voto (les « multiples »), Apis fait au contraire partie des « uniques », c’est-à-dire « une bête choisie parmi ses congénères de la même espèce pour être l’hypostase de la divinité de la cité » (CHARRON 2002, p. 176). Il possède donc un culte propre et est entretenu et bien traité sa vie durant : né d’une vache elle-même considérée comme manifestation d’Isis (CASSIER 2012, p. 15-20), Apis vit entouré de son harem et de sa mère dans un enclos sacré, le sekos, dans l’enceinte du temple de Ptah à Memphis. Toutefois, même les « uniques » ne sont pas des dieux à part entière, mais des ouhem : ce mot, généralement traduit par « héraut », fait de l’animal un intermédiaire entre les hommes et les dieux. Le ouhemassume donc un rôle de médiateur, chargé de transmettre au dieu les prières des dévots, et remplissant parfois même un rôle d’oracle.

 

À sa mort, l’Apis recevait tous les hommages généralement réservés aux hommes, y compris une momification dans les règles ; puis, après avoir respecté la période d’accomplissement des rites funéraires de 70 jours, on recherchait sa nouvelle incarnation parmi les troupeaux d’Égypte. Jusqu’au règne de Ramsès II, chaque Apis était inhumé dans une tombe indépendante à Saqqara ; puis, son culte prenant ensuite une importance considérable, notamment à la Basse Époque, un immense réseau de couloirs souterrains (aujourd’hui appelé le Sérapéum) est aménagé pour accueillir les momies des Apis. C’est également à cette période que se multiplient les statuettes en bronze le représentant, lesquelles étaient commandées, moulées et vendues aux dévots à la mort de l’Apis, afin que chacun puisse l’offrir au dieu lors de ses funérailles et ainsi demander bienfaits et protection : il s’agit donc d’objets de piété personnelle.

Œuvres associées

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs statuettes de taureau, Co. 798Co. 807Co. 1234Co. 2369 et Co. 5629. Les œuvres Co. 798 et Co. 807 sont similaires à Co. 2395 de par les formes anatomiques générales imposantes et par le traitement du cou décoré de stries verticales. 

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

Donation à l’État français en 1916.

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