Relief en creux

Tête de divinité féline, tournée vers la gauche

Égypte > provenance inconnue

Époque ptolémaïque, probablement

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 11 CM  : L. 27,2  CM ; P. 0,6 CM

Calcaire polychromé

Co. 3423

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre est en état de conservation moyen. L’objet est extrêmement lacunaire, aucun chant n’étant original. Les chants inférieur et supérieur correspondent à des cassures. Les chants droit, gauche et le revers ont été repris l’outil. Des traces d’impacts et des éclats sont visibles sur la surface. Cependant, malgré quelques cassures sur le bord du relief et sur la figure – notamment au niveau du museau de la divinité –, les détails et le modelé sont bien conservés.

 

De très petits fragments de pigment bleu ont été détectés sur la perruque, indiquant que le relief était polychrome. Des traces de terre d’enfouissement subsistent dans les creux. Un enduit avait initialement été déposé sur la face, peut-être dans un but de consolidation.

Description

Coupée sous le menton, la figure représentée sur le bloc reste cependant reconnaissable : il s’agit d’une divinité féline, tournée vers la gauche et représentée en relief dans le creux. Le volume de la tête est profondément creusé par rapport au fond – plusieurs centimètres –, tandis que le modelé du museau, le bourrelet du cou, les fines gaufrures de la perruque (de type féminin) et l’œil sont exprimés en relief plus saillant. L’artiste a même pris soin d’esquisser les vibrisses.

Dans la partie supérieure, quelques traces permettent de comprendre que la tête de la déesse était très certainement surmontée d’un disque solaire (aujourd’hui disparu), orné d’un uraeus dont la courbe inférieure est conservée à gauche. Même si l’oreille, de forme triangulaire et pointue, rappelle plutôt la morphologie de la chatte, le reste de l’anatomie évoque clairement une lionne. Il s’agit donc là de l’une des nombreuses déesses léonines de l’Égypte ancienne, notamment Mafdet, Mehyt, Tefnout mais surtout de Sekhmet, dont l’identification semble ici la plus probable.

 

Sans surprise, les félins dans la pensée égyptienne sont d’abord appréhendés comme des figures dangereuses et violentes, potentiellement destructrices. La lionne cependant n’est que très rarement présentée comme une entité purement dangereuse, puisque, pour les anciens Égyptiens, sa capacité à la violence est canalisée au service du maintien de l’ordre et de la royauté, ainsi que dans un but protecteur : Sekhmet notamment n’est pas seulement une déesse guerrière, elle est aussi guérisseuse et patronne des médecins. Cette symbolique se maintient tout au long de l’époque dynastique, jusqu’à la Basse Époque où le lion assume désormais une fonction explicite de gardien au sein des temples, en étant figuré sur les verrous des portes (DE WIT, 1951, p. 83). Le musée Rodin conserve d’ailleurs un exemplaire de ces verrous en bronze ornés d’une tête de lion, le Co. 5783.

 

Cette ambivalence des félins – destructeurs envers leurs ennemis sous la forme de lionne, doux et bienveillants sous la forme paisible de la chatte – est à l’origine du schisme progressif entre Sekhmet et Bastet, au départ investies l’une et l’autre de ces deux aspects, mais polarisant dès le Moyen Empire une seule de ces valeurs : la combattivité pour Sekhmet, la sollicitude pour Bastet (MALEK, 2001, p. 143). Le rapprochement entre ces deux rôles des félins – violent et protecteur, dangereux et pacifique – s’illustre au Nouvel Empire, lorsque les deux cycles mythologiques de la transformation de la lionne, ramenée des pays lointains, en la vache Hathor, et de la rage de Rê envoyant son œil annihiler l’humanité, finissent par se confondre dans le fameux « Mythe de la Lointaine ». Dans ce récit, l’ « Œil de Rê », fille et protectrice du dieu, ivre de colère pour des raisons qui divergent selon les traditions, s’enfuit dans le désert (de Nubie dans certaines versions) sous la forme d’une lionne. Rê envoie alors un de ses fils (Thot, Shou ou Anhour, selon les versions) pour apaiser la déesse et la ramener en Égypte, auprès de lui, où se trouve sa place.

 

Les dimensions conséquentes de la représentation suggèrent que le relief proviendrait d’une paroi ornée, peut-être issue d’un temple. Dans la partie supérieure droite, une ligne de séparation intertextuelle suggère qu’une inscription hiéroglyphique surmontait la scène d’origine.

Inscription

Anépigraphe.

Historique

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 100, "Fragment d’un bas-relief d’époque ptolémaïque représentant la tête d’une déesse léontocéphale. Calcaire 26 x 11. Estimé quarante francs."

Donation Rodin à l’État français 1916.

 

 

 

Commentaire historique

Ce bas-relief fut probablement acheté auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « rayé 1 tête lion bas relief en creux manque  le corps » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont le relief Co.3423 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

Le relief fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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